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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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c’est le nom de ce fauve que j’allais
porter huit années durant en Italie. Je dois cependant préciser que ceux des
zones froides sont beaucoup moins féroces que ceux des pays chauds. À Fès,
quand on veut imposer silence à un fanfaron, on lui dit : « Tu es
aussi courageux que les lions d’Agla auxquels les veaux mangent la
queue. » Il est vrai que, dans la localité qui porte ce nom, il suffit qu’un
enfant coure derrière un lion en criant pour que ce dernier s’enfuie. Dans un
autre village de montagne, appelé Pierre-Rouge, ils viennent entre les maisons
manger les os qu’on leur laisse, et tout le monde les côtoie sans crainte. J’ai
également entendu dire que lorsqu’une femme se trouve seule face à un lion dans
un endroit écarté il suffit qu’elle découvre devant lui certaine partie de son
corps pour que le fauve pousse alors un fort rugissement, baisse les yeux et s’en
aille. Libre à chacun de croire ce qu’il veut !
     
    *
     
    En revenant de ce pèlerinage improvisé, je me suis
rappelé le vague sentiment de peur que j’avais éprouvé pour Mariam. Une
prémonition de l’assaut des lions contre notre cabane ? Sur le moment, je
l’ai pensé. Il est vrai qu’à douze ans je croyais encore que, des fauves et des
hommes, les premiers étaient les plus nuisibles.

L’ANNÉE DE LA GRANDE RÉCITATION

907 de l’hégire (17 juillet
1501 – 6 juillet 1502)
     
    Le fiancé de Mariam avait quatre fois son âge,
deux fois sa taille, une fortune mal acquise et le sourire de ceux qui ont
appris très tôt que la vie est une perpétuelle arnaque. À Fès, on l’appelait le
Zerouali, et beaucoup le regardaient avec envie, car cet ancien berger s’était
construit le palais le plus volumineux de la cité, après celui du souverain s’entend,
élémentaire sagesse pour qui tient à garder sa tête collée à son tronc.
    Personne ne savait comment avait poussé la fortune
du Zerouali. Les quarante premières années de sa vie, disait-on, il avait
sillonné avec ses chèvres la montagne de Beni Zeroual, dans le Rif, à trente
milles de la mer. J’ai eu, bien plus tard, l’occasion de visiter cette région,
où j’ai pu observer un phénomène extraordinaire : au fond d’une vallée, il
y a une ouverture dans la terre, on dirait une grotte ; il en sort
continuellement une grande flamme ; tout autour, une mare brune s’est
formée, contenant un liquide visqueux à l’odeur insistante. Beaucoup d’étrangers
viennent là pour contempler ce prodige, ils y jettent des branchages et des
bouts de bois qui se consument à l’instant. Certains croient que c’est la
bouche de l’Enfer.
    Non loin de ce lieu inquiétant se trouvent,
dit-on, des puits secrets où les Romains avaient enfoui leurs trésors avant de
quitter l’Afrique. Le berger était-il tombé sur l’une de ces caches au hasard d’un
pâturage ? C’est ce que j’avais entendu chuchoter à Fès bien avant que ce
Zerouali ne fasse irruption dans ma vie. Quoi qu’il en soit, une fois découvert
ce magot, au lieu de le gaspiller tout de suite comme font souvent ceux que
surprend la fortune, il avait lentement mûri dans sa tête un stratagème. Après
avoir vendu, à petites doses, une partie du trésor, voilà qu’il s’était rendu
un jour, richement paré, à l’audience publique du sultan de Fès.
    « Combien de dinars d’or tires-tu de Beni
Zeroual chaque année ? demanda-t-il au monarque.
    — Trois mille, répondit le souverain.
    — Je t’en donnerai six mille, payables à l’avance,
si tu me l’affermes. »
    Et notre Zerouali d’obtenir ce qu’il voulait,
ainsi qu’un détachement de soldats pour l’aider à collecter l’impôt, à soutirer
aux habitants leurs moindres économies, par la menace ou la torture. À la fin
de l’année, il revint chez le souverain :
    « Je m’étais trompé. Ce n’est pas six mille
mais douze mille dinars que j’ai pu obtenir. »
    Impressionné, le maître de Fès avait affermé au
Zerouali l’ensemble du Rif, et lui avait confié cent arbalétriers, trois cents
cavaliers et quatre cents fantassins pour l’aider à rançonner la population.
    Pendant cinq ans, le rendement des impôts fut bien
plus considérable que par le passé, mais les gens du Rif commençaient à s’appauvrir ;
beaucoup s’en furent s’installer dans d’autres provinces du royaume ;
certaines villes côtières songèrent même à se livrer aux Castillans. Sentant
les

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