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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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choses se gâter, le Zerouali céda sa charge, quitta le Rif et vint s’installer
à Fès avec l’argent qu’il avait extorqué. Ayant gardé la confiance du monarque,
il se fit construire un palais et commença à s’adonner à toutes sortes d’affaires.
Avide, impitoyable, mais d’une grande habileté, et toujours à l’affût d’idées
astucieuses.
    Mon père l’avait connu par l’entremise d’un riche
émigré andalou et lui avait exposé son projet de culture de vers à soie.
Vivement intéressé, le Zerouali avait posé mille questions sur la chenille, le
cocon, la bave, la filière, demandant à l’un de ses conseillers de retenir
chaque détail. Il s’était dit heureux de collaborer avec un homme aussi
compétent que Mohamed.
    « C’est, avait-il dit en riant, l’alliance de
l’intelligence et de la fortune. »
    Comme mon père répondait que tout Fès connaissait
l’intelligence et l’habileté du Zerouali, celui-ci avait rétorqué :
    « Toi qui as lu tant de livres, ne sais-tu
pas ce que la mère d’un sultan des temps anciens a dit à la naissance de son
fils ? « Je ne te souhaite pas d’avoir l’intelligence, car tu devras
la mettre au service des puissants ; je te souhaite d’avoir la chance,
pour que les gens intelligents soient à ton service. » C’est probablement
la même chose que ma mère a désirée à ma naissance », conclut le Zerouali
en riant de toutes ses dents.
    L’entrevue parut encourageante à mon père, bien
que son interlocuteur eût demandé à la fin un délai de réflexion ; il
voulait mettre le monarque au courant du projet, obtenir son accord, consulter
quelques tisserands, quelques explorateurs. Cependant, pour prouver son grand
intérêt à l’affaire, il avança à Mohamed quatre cents pièces d’or et lui fit
également miroiter une alliance entre leurs familles.
    Au bout de quelques mois, je crois que c’était en chaabane de cette année-là, le Zerouali fit appeler mon père. Il l’informa que son
projet était accepté et qu’il fallait commencer les préparatifs, repérer quelques
champs de mûriers blancs, en planter d’autres, recruter des travailleurs
qualifiés, construire les premières magnaneries. Le roi lui-même était
enthousiasmé. Il voulait inonder l’Europe et les pays musulmans de soieries, de
quoi décourager les négociants d’aller jusqu’en Chine pour importer cette
précieuse marchandise.
    Mon père trépignait de joie. Ainsi, son rêve
allait se réaliser, et à une échelle qui dépassait de loin ses espérances. Il
se voyait déjà riche, étendu sur d’immenses coussins de soie dans un palais
tapissé de majolique ; il serait le premier des notables de Fès, la fierté
des Grenadins, un familier du sultan, un bienfaiteur des écoles et des
mosquées…
    « Pour sceller l’accord, poursuivit le
Zerouali, quoi de mieux qu’une alliance de sang ? N’as-tu pas une fille à
marier ? »
    Séance tenante, Mohamed promit à son bailleur de
fonds la main de Mariam.
    C’est tout à fait par hasard que je connus,
quelques jours plus tard, la teneur de cette conversation qui allait changer
bien des choses dans ma vie. Sarah-la-Bariolée s’était rendue au harem du
Zerouali afin d’y vendre ses parfums et ses colifichets, comme elle le faisait
déjà dans les maisons et les palais de Grenade. Tout au long de sa visite, les
femmes n’avaient parlé que du nouveau mariage de leur maître, plaisantant sur
sa vigueur indéfectible et discutant des conséquences de cette dernière
acquisition sur les favorites actuelles. L’homme avait déjà quatre épouses,
tout ce que la Loi l’autorisait à prendre en même temps ; il devait donc
en répudier une, mais il en avait l’habitude, et ses femmes aussi. La divorcée
obtenait une maison contiguë, parfois même restait dans les murs, et l’on
chuchotait que certaines étaient tombées enceintes après la séparation sans que
le Zerouali s’en montrât surpris ou offusqué.
    Bien entendu, Sarah se précipita l’après-midi même
chez ma mère pour lui rapporter les ragots. Je venais de rentrer de l’école, et
je grignotais quelques dattes en n’écoutant que d’une oreille lointaine le
papotage des deux femmes. Soudain, un prénom. Je m’approchai :
    « Elles ont même eu le temps d’accoler à
Mariam un sobriquet : le ver à soie. »
    Je me fis répéter mot à mot le récit de la
Bariolée, puis je l’interrogeai

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