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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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je ressentis ce jour-là. Vêtu de soie comme un fils d’émir,
monté sur un cheval de race, suivi par un esclave portant une large ombrelle,
je traversai les rues de la cité entouré des élèves de ma classe qui chantaient
à l’unisson. Au bord de la route, quelques passants me saluaient de la main, et
je les saluais en retour. De temps en temps, une tête connue, Khâli, ma mère,
deux cousines, quelques voisins, Hamza le barbier avec les garçons du hammam,
et un peu à l’écart, sous un porche, Warda et Mariam.
    Quant à mon père, il m’attendait devant la salle
où un banquet devait être offert en mon honneur. Il portait sous le bras le
vêtement neuf dont je devais, selon la tradition, habiller le maître d’école en
signe de gratitude. Il me contemplait avec une émotion désarmante.
    Je l’observai à mon tour. En un instant, je revis
dans ma tête tant d’images de lui : émouvant quand il me contait Grenade,
affectueux quand il me caressait la nuque, terrifiant quand il avait répudié ma
mère, exécrable quand il avait sacrifié ma sœur, pitoyable quand il était
affalé à la table d’une taverne. Que de vérités j’avais envie de lui crier du
haut de ma monture ! Mais je savais que ma langue se lierait à nouveau
quand mes pieds toucheraient le sol, quand je devrais rendre au prêteur cheval
et soieries, quand j’aurais cessé d’être l’éphémère héros de la Grande
Récitation.

L’ANNÉE DU STRATAGÈME

908 de l’hégire (7 juillet
1502 – 25 juin 1503)
     
    « Le Zerouali n’a jamais été le pauvre berger
qu’il prétend. Et jamais il n’a découvert de trésor. La vérité, c’est qu’il a
été pendant des années un bandit, un coupeur de routes, un assassin, et sa
fortune initiale n’a été que le fruit d’un quart de siècle de rapines. Mais il
y a plus grave encore. »
    Haroun avait admirablement fureté semaine après
semaine, mais, en dépit de mes fréquentes adjurations, il avait refusé de me
révéler le moindre indice avant que son enquête ne soit achevée.
    Ce jour-là, il était venu m’attendre devant la
mosquée des Karaouiyines. J’avais cours de trois heures à cinq heures du matin
avec un érudit syrien en visite à Fès. Haroun avait abandonné ses études et il
portait déjà l’habit court et terreux des portefaix ; il devait bientôt
commencer son travail de la journée.
    « Le plus grave, reprit le Furet, c’est que
cet individu est jaloux jusqu’à la démence, constamment persuadé que ses femmes
cherchent à le tromper, surtout les plus jeunes et les plus belles. Il suffit d’une
dénonciation, d’une calomnie, d’un mot insidieux lancé par une rivale, pour que
la malheureuse soit étranglée. Les eunuques du Zerouali s’occupent ensuite de
maquiller le crime en noyade, en chute fatale ou en esquinancie. Trois femmes
au moins sont déjà mortes dans des circonstances pour le moins
suspectes. »
    Nous faisions les cent pas sous les arcades de la
mosquée, qu’illuminaient d’innombrables lampes à huile. Haroun se tut,
attendant ma réaction. J’étais trop accablé pour émettre le moindre son.
Certes, je savais que l’homme auquel ma sœur était promise était capable de
bien des méfaits, et c’est bien pour cela que je cherchais à empêcher le
mariage. Mais il ne s’agissait plus maintenant d’éviter à une adolescente une
vie morne et apathique ; il s’agissait de la sauver des griffes d’un
assassin, d’un monstre sanguinaire. Le Furet n’était pas moins soucieux que
moi, mais son esprit ne s’attardait jamais aux lamentations :
    « Quand doit avoir lieu la cérémonie ?
    — Dans deux mois au plus tard. Le contrat est
signé, les préparatifs sont déjà avancés, mon père rassemble la dot, il a
commandé les draps de lit et les matelas d’ornement, la robe de Mariam est déjà
prête.
    — Il faut que tu parles à ton père, à lui
seul, car, si n’importe quelle autre personne s’en mêlait, il s’entêterait et
plus rien ne pourrait empêcher le malheur. »
    Je suivis son conseil, à un détail près. Je
demandai à ma mère de vérifier auprès de Sarah si les informations de Haroun
étaient vraies. La Bariolée confirma le tout une semaine plus tard, non sans m’avoir
fait jurer sur le Coran de ne jamais mentionner son nom dans cette affaire. J’avais
besoin de ce nouveau témoignage pour pouvoir affronter mon père sans que le
moindre filet de doute traverse mon

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