Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
Vom Netzwerk:
autre occasion.
L’entrevue était terminée. Je m’accrochai cependant, et cela malgré les
sourcils froncés du maître des cérémonies :
    « Si vous m’accordiez une minute encore, je
voudrais vous présenter une requête. »
    Et je me mis à parler de ma sœur, le plus vite
possible, prononçant deux ou trois fois le mot d’injustice, rappelant la
promesse faite à Khâli. Le monarque regardait ailleurs ; j’étais persuadé
qu’il ne m’écoutait pas ; un mot de lui me contredit :
    « La lépreuse ? »
    Le chancelier lui chuchota un mot à l’oreille,
puis s’adressa à moi avec une petite tape sur l’épaule :
    « Je m’en occupe. Tu ne seras pas déçu. N’importune
pas Sa Majesté avec cette affaire ! »
    Je baisai la main du monarque et sortis. Haroun m’attendait
à l’extérieur des grilles.
    « Sais-tu que tu viens de commettre un crime
contre la Loi de Dieu ? »
    Du premier coup d’œil, il avait compris que j’avais
été bafoué et il cherchait à me consoler à sa manière. Je pressai le pas sans
rien dire. Il insista :
    « J’ai récemment entendu un cheikh éminent
soutenir que la plupart des souverains de notre époque, sinon tous, accroissent
leurs revenus par des impôts interdits par la Loi de Dieu, qu’ils sont donc
tous des voleurs et des impies, et qu’en conséquence toute personne qui mange à
leur table, qui accepte d’eux le moindre cadeau ou qui établit avec eux des
liens familiaux est complice de leurs vols et de leur impiété. »
    Ma réponse se doubla d’un mouvement d’humeur :
    « C’est avec des propos comme ceux-là qu’ont
commencé toutes les guerres qui ont déchiré les pays d’islam. D’ailleurs,
rassure-toi, le sultan ne m’a pas invité à sa table, il ne m’a offert aucun
cadeau, et il ne m’a pas proposé la main de sa fille. Je ne suis donc ni voleur
ni impie, je ne risque pas de me retrouver dans le feu de la Géhenne. Mais ma
sœur est toujours chez les lépreux ! »
    Le visage de Haroun se rembrunit.
    « Iras-tu bientôt la voir ?
    — J’attends une réponse du chancelier. Je
préfère la voir après, peut-être aurai-je une nouvelle à lui annoncer. »
    Durant les semaines qui suivirent, je repris
quelques cours à la médersa Bou-Inania. On me demanda de raconter mon
voyage devant mes condisciples et de leur décrire en particulier certaines
mosquées que j’avais vues au pays des Noirs ainsi que des tombes de saints que
j’avais pu visiter. Comme j’avais pris des notes précises, je pus parler deux
longues heures durant, et le professeur en fut enchanté. Il m’invita chez lui
et m’encouragea à consigner par écrit mes observations, comme l’avaient fait
avant moi Ibn Batouta ainsi que d’autres voyageurs tout aussi illustres. Je
promis de le faire un jour, si Dieu le permettait.
    Le maître me demanda également si je souhaitais
travailler, car son frère, directeur du maristan de la ville, cherchait
à engager un jeune étudiant comme secrétaire, pour un salaire de trois dinars
par mois. J’acceptai avec enthousiasme, les hôpitaux et les hospices avaient
toujours excité ma curiosité ; on convint que je commencerais à l’automne.
     
    *
     
    Je laissai s’écouler deux mois avant de retourner
au palais, je ne voulais pas donner au chancelier l’impression de le bousculer.
Il se montra exagérément affable, me dit qu’il m’attendait depuis des semaines,
m’offrit du sirop, me parla en larmoyant de mon oncle disparu, puis m’annonça,
sur un ton quasiment triomphal, qu’il avait obtenu que ma sœur soit à nouveau
examinée par quatre femmes assermentées.
    « Tu comprends bien, jeune homme, que notre
sultan, aussi puissant soit-il, ne peut se permettre de ramener à l’intérieur
de la ville une personne soupçonnée de porter en elle une si hideuse maladie.
Si ta sœur est prononcée saine et sans taches, une lettre du souverain la fera
sortir du quartier dans la journée. »
    La solution me sembla raisonnable et je décidai de
la rapporter à Mariam sur le ton le plus confiant possible afin de lui redonner
espoir. Haroun me demanda s’il pouvait m’accompagner ; je répondis
« oui » sans hésiter, en dépit de ma surprise.
    Mariam se dit heureuse de me revoir en bonne santé
après un si long voyage, mais elle me parut plus lointaine encore que lors de
notre dernière rencontre, et pâle comme un cadavre. Je la dévisageai.
    « Et toi, comment te

Weitere Kostenlose Bücher