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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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sens-tu ?
    — Bien mieux que la plupart de mes voisins.
    — J’espérais qu’à mon retour tu serais
sortie.
    — J’avais trop à faire ici. »
    Le sarcasme amer qui m’avait tant exaspéré deux
ans plus tôt s’était encore accentué.
    « Te rappelles-tu mon serment ?
    — Si tu le tiens, si tu ne te maries pas, je
n’aurai ni enfants ni neveux. »
    Haroun se tenait derrière moi, observant tantôt le
cours d’eau, tantôt le garde. À ma sœur, il n’avait adressé qu’un geste de
salut timide et furtif, il donnait l’impression de ne pas prêter attention à
notre échange. Soudain, il se racla bruyamment la gorge et regarda Mariam droit
dans les yeux :
    « Si tu réagis ainsi, si tu cèdes au
découragement, tu sortiras d’ici folle à lier, et ta délivrance n’aura plus
aucun sens. Ton frère était venu t’annoncer une bonne nouvelle, fruit de ses
démarches au palais. »
    Elle se calma instantanément à ces paroles et
écouta mes explications sans plus me harceler de boutades ni de rictus
moqueurs.
    « Quand doit-on m’examiner ?
    — Dans très peu de temps. Sois constamment
prête.
    — Je suis toujours saine. Elles ne trouveront
pas la moindre tache.
    — Je n’en doute pas. Tout se passera
bien ! »
     
    *
     
    En quittant ce lieu maudit, je lançai à Haroun un
regard suppliant :
    « Crois-tu qu’elle en sortira ? »
    Au lieu de répondre, il continua à marcher, fixant
le sol d’un air pensif, pendant plusieurs minutes. Subitement, il s’immobilisa,
plaqua ses paumes sur son visage puis les écarta, tout en gardant ses yeux
fermés.
    « Hassan, ma décision est prise. Je veux que
Mariam soit ma femme, la mère de mes enfants. »

L’ANNÉE DU MARISTAN

913 de l’hégire (13 mai 1507 –
1 er  mai 1508)
     
    À l’hospice de Fès, il y a six infirmiers, un
lampiste, douze gardiens, deux cuisiniers, cinq boueux, un portier, un
jardinier, un directeur, un assistant et trois secrétaires, tous convenablement
rétribués, ainsi qu’un grand nombre de malades. Mais, Dieu m’est témoin, pas un
seul médecin. Lorsque arrive une personne souffrante, on l’installe dans une
chambre, avec quelqu’un pour la servir, sans lui prodiguer toutefois le moindre
soin, jusqu’à ce qu’elle guérisse ou qu’elle meure.
    Tous les malades qui y viennent sont étrangers,
car les Fassi préfèrent se soigner chez eux. Les seuls gens de la ville qui
soient à l’hospice sont les fous, auxquels plusieurs chambres sont réservées.
De peur qu’ils ne commettent quelque méfait, on leur maintient les pieds
enchaînés en permanence. Leur pavillon se trouve le long d’un couloir dont les
parois sont bardées d’épaisses solives, et seuls des gardiens expérimentés
osent s’en approcher. Celui qui leur donne à manger est armé d’un gros bâton,
et s’il voit que l’un d’eux est agité, il lui administre une bonne volée qui le
calme ou l’assomme.
    Quand j’avais commencé mon travail au maristan, on
m’avait fortement mis en garde contre ces malheureux. Jamais je ne devais leur
adresser la parole, ni même leur donner l’impression de les remarquer.
Pourtant, certains d’entre eux m’inspiraient pitié, surtout un homme âgé,
maigre et à moitié chauve, qui passait sa journée à prier et à psalmodier, et
qui embrassait tendrement ses enfants quand ils venaient le voir.
    Un soir, j’étais resté tard à mon bureau pour
recopier les pages d’un registre sur lequel j’avais renversé par inadvertance
une tasse de sirop. En partant, je louchai vers cet homme. Il pleurait, accoudé
à l’étroite fenêtre de sa chambre. Quand il me vit, il se voila les yeux. Je
fis un pas dans sa direction. Il se mit alors à me raconter, sur le ton le plus
calme, qu’il était un commerçant craignant Dieu, qu’il avait été interné sur la
dénonciation d’un concurrent jaloux, et que sa famille ne parvenait pas à le
libérer tant son adversaire était puissant et bien introduit au palais.
    Son histoire ne pouvait que me toucher. J’avançai
encore vers lui, prononçant des paroles de réconfort, promettant de m’enquérir
dès le lendemain auprès du directeur. Quand je fus tout proche, l’homme bondit
subitement sur moi, m’empoigna les vêtements d’une main, tandis que, de l’autre,
il me barbouillait le visage d’ordure, en poussant des rires de dément. Les
gardiens qui accoururent pour me secourir me reprochèrent vivement

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