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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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dépenses et que, si
ses adversaires cherchent à le poursuivre, les habitants de la montagne s’en
prendront à eux.
    Je serrai Haroun vigoureusement contre moi, mais
il se dégagea bien vite, il était impatient de découvrir ce que le Destin lui
réservait.

L’ANNÉE DE LA MARIÉE

914 de l’hégire (2 mai 1508 –
20 avril 1509)
     
    Cette année-là fut célébré le premier de mes
mariages, souhaité par mon oncle mourant ainsi que par ma mère, soucieuse de me
détacher de Hiba, qui avait toujours le meilleur de mes caresses bien qu’elle
ne m’ait donné ni garçon ni fille en trois ans d’amours. Et, comme le veut la
coutume, je dus poser solennellement le pied sur celui de Fatima, ma cousine,
mon épouse, à l’instant où elle entrait dans la chambre nuptiale, tandis qu’à
la porte une femme du voisinage attendait le linge imbibé de sang qu’elle irait
brandir, hilare et triomphante, sous le nez des invités, signe que la mariée
était vierge, que le mari est puissant, que les festivités pouvaient commencer.
    Le rituel me sembla interminable. Dès le matin,
habilleuses, coiffeuses et épileuses, parmi lesquelles l’irremplaçable Sarah, s’étaient
affairées autour de Fatima, lui peignant les joues en rouge, les mains et les
pieds en noir, avec, entre les sourcils, un joli dessin en forme de triangle et
sous la lèvre inférieure un autre, allongé comme une feuille d’olivier. Ainsi
fardée, on l’avait installée sur une estrade, pour que chacun puisse l’admirer,
pendant qu’on offrait à manger aux matrones qui l’avaient parée.
    Dès la fin de l’après-midi, amis et parents s’étaient
rassemblés devant la maison de Khâli. La mariée avait fini par sortir, plus
troublée que troublante, manquant à chaque pas de trébucher dans ses robes,
puis elle était montée dans une sorte de coffre en bois à huit pans recouvert d’étoffes
de soie et de brocart que quatre jeunes portefaix, amis de Haroun, avaient
élevé sur leur tête. Le cortège s’était alors ébranlé, précédé de flûtes, de
trompes et de tambourins, ainsi que d’un grand nombre de torches, brandies par
les employés du maristan et par mes anciens camarades de collège. Ceux-ci
marchaient à mes côtés devant le coffre de la mariée ; derrière elle se
tenaient les époux de ses quatre sœurs.
    Nous avions d’abord défilé bruyamment dans les
souks – les échoppes fermaient déjà, les rues se vidaient – avant de
nous arrêter devant la Grande Mosquée, où quelques amis nous avaient aspergés d’eau
de rose. À ce point du parcours, le plus âgé de mes beaux-frères, qui
remplaçait mon oncle pour la cérémonie, m’avait chuchoté que le moment était
venu pour moi de partir. Je lui avais donné l’accolade, avant de courir vers la
maison de mon père où une chambre était ornementée pour la nuit de l’amenée. C’est
là que je devais attendre.
    Le cortège m’avait rejoint une heure plus tard.
Fatima avait été confiée à ma mère et c’est elle qui la conduisit par la main
jusqu’au seuil de la chambre où, avant de nous quitter, Salma me rappela d’un
clin d’œil ce que j’étais censé faire avant toute chose, si je voulais affirmer
d’emblée mon autorité de mâle. Je marchai donc pesamment sur le pied de ma
femme, protégé il est vrai par un socque, puis la porte se referma. Au-dehors,
des cris, des rires, certains tout proches, de même que le tintement des
marmites, le premier repas de noces devant se préparer pendant que le mariage
se consommait.
    Drapée de rouge et d’or, Fatima était devant moi,
livide malgré les fards, immobile, pétrifiée, suffocante, s’efforçant de
sourire, les yeux si pitoyables que, d’un geste spontané, je l’attirai vers
moi, moins pour l’étreindre que pour tenter de la rassurer. Elle enfouit la
tête dans ma poitrine et tomba en pleurs. Je la serrai pour la faire taire,
craignant qu’on pût l’entendre. Elle s’écrasa contre moi, étouffant peu à peu
ses sanglots, mais son corps tremblait et, lentement, s’affaissait. Elle ne fut
bientôt plus qu’un fagot maladroitement retenu par mes bras.
    Mes amis m’avaient prévenu qu’au soir des noces
bien des filles s’évertuent à paraître plus ignorantes qu’elles ne sont, plus
surprises, plus effarouchées, mais aucun n’avait parlé d’évanouissement. Par
ailleurs, j’avais souvent entendu dire au maristan que des veuves ou des femmes
longtemps

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