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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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enthousiasme. Il me donna donc la somme en
pièces d’or, me prêta pour le voyage un cheval, deux serviteurs et neuf mules
et me recommanda rapidité et circonspection.
    Pour ne pas partir les montures vides, j’avais
rassemblé tout l’argent dont je pouvais disposer, mes économies, celles de ma
mère, une partie du legs laissé par Khâli à Fatima, au total quatre cents
dinars avec lesquels j’achetai quatre cents sabres des plus ordinaires, de
ceux, précisément, que les Fassi avaient l’habitude de vendre aux gens de
Tefza. Quand, revenant du souk, je racontai fièrement à mon père ma volumineuse
acquisition, il faillit déchirer sa robe de consternation et de
désolation :
    « Il te faudra au moins un an pour écouler
tant de sabres dans une petite ville ! Et, comme les gens vont savoir que
tu es pressé de rentrer, ils te les achèteront au plus vil prix ! »
    Ses paroles étaient sensées, mais il était trop
tard pour reculer, puisque j’avais fait le tour de tous les artisans pour
rassembler ma cargaison que j’avais entièrement payée comptant. Il fallut me
résigner à revenir perdant de ce premier voyage de commerce, me disant que nul
ne peut apprendre un métier sans meurtrir ses mains ou sa bourse.
    La veille du départ, ma mère vint me rapporter,
affolée, des rumeurs qu’elle avait entendues au hammam : des événements
graves se déroulaient à Tefza, on parlait d’une expédition menée par l’armée de
Fès pour y rétablir l’ordre. Mais, plutôt que de me décourager, ses propos
avivèrent ma curiosité, tellement que le lendemain, avant le lever du soleil, j’étais
parti sans même avoir cherché à m’informer. Dix jours plus tard, j’étais arrivé
à destination sans encombre. Pour trouver un pays en proie à la plus grande
agitation.
    Je n’avais pas encore franchi la porte de la ville
que la populace s’était agglutinée autour de moi, les uns m’interpellant avec
hargne, d’autres me questionnant sans relâche. Je tentais de rester
calme : non, je n’ai pas vu les troupes de Fès progresser en cette
direction ; oui, j’ai entendu des rumeurs, mais je n’y ai pas prêté
attention. Pendant que je m’efforçais en vain de me frayer un chemin, un homme
de grande taille, habillé comme un prince, s’approcha ; la foule s’écarta
en silence pour le laisser passer. Il me salua d’un geste élégant de la tête et
se présenta comme le chef élu de la ville. Il m’expliqua que Tefza avait vécu
jusque-là en république, gouvernée par un conseil de notables, sans la
protection d’aucun sultan ni d’aucune tribu nomade, ne payant ni impôts ni
rançons et assurant sa prospérité grâce à la vente de ses burnous de laine,
prisés dans le monde entier. Mais, depuis qu’un conflit sanglant avait éclaté
entre deux clans rivaux, combats et règlements de compte meurtriers s’étaient
multipliés, tant et si bien qu’afin d’arrêter le carnage le conseil avait
décidé de mettre au ban de la cité les membres du clan qui avait ouvert les
hostilités. Pour se venger, les expulsés avaient fait appel au souverain de
Fès, lui promettant de lui livrer la place. Les citadins redoutaient donc une
attaque imminente. Je remerciai cet homme de ses explications, lui déclinai mon
nom et la raison de ma visite, lui répétai le peu que j’avais entendu sur les
événements de Tefza, ajoutai que je n’allais pas m’y attarder ; juste le
temps de vendre mes sabres, d’acheter mes burnous et de repartir.
    Le personnage me demanda d’excuser la nervosité de
ses compatriotes et ordonna à la foule de me laisser passer, expliquant en
berbère que je n’étais ni un espion ni un messager de Fès, mais un simple
commerçant andalou agissant pour le compte des Génois. Je pus donc entrer dans
la ville et me diriger vers l’hôtellerie. Pourtant, avant de l’atteindre, je
vis au travers de ma route deux hommes richement habillés qui discutaient à
voix haute en me regardant. Quand je parvins à leur hauteur, ils parlèrent en
même temps : chacun me priait de lui faire l’honneur d’habiter sa maison,
promettant de prendre également à sa charge les serviteurs et les bêtes. Ne
voulant offenser ni l’un ni l’autre, je refusai les deux invitations, en
remerciant ces gens de leur hospitalité, et m’installai à l’hôtellerie, fort
peu confortable en comparaison de celles de Fès ; mais je ne m’en
plaignais pas, car, depuis plusieurs nuits, je

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