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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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d’apercevoir la silhouette de Hiba, dont j’étais
sevré pour une semaine encore. Quand je sortis, Fatima me suivit jusqu’à la
chambre, sans doute à l’instigation de ma mère. Elle me prit la main et la couvrit
de baisers. « Je t’ai déplu, la nuit dernière. » Sans répondre, je m’étendis
sur le côté gauche du lit et fermai les yeux. Elle se pencha sur moi et
articula d’une voix balbutiante, hésitante, à peine audible :
    « Ne veux-tu pas visiter ma petite sœur ? »
    Je sursautai, incrédule. Hiba m’avait bien
rapporté sur un ton moqueur cette expression utilisée par certaines femmes de
ce pays pour désigner leur intimité. Mais comment pouvais-je m’y attendre de la
bouche de Fatima qui, hier même, s’était évanouie à la seule vue de sa chambre
de noces ? Je me tournai vers elle. Ses deux mains étaient aplaties contre
son visage.
    « Qui t’a appris à me dire cela ? »
    Elle avait honte, elle avait peur, elle pleurait.
Je la rassurai d’un rire prolongé et la serrai contre moi. Elle était
pardonnée.
    La semaine se termina par un dernier banquet, pour
lequel je reçus en cadeau de mes beaux-frères quatre moutons entiers ainsi que
des terrines emplies de confiseries. Le lendemain, je sortis enfin de la maison
et me dirigeai tout droit vers le souk afin d’accomplir le dernier geste de l’interminable
cérémonie nuptiale : acheter quelques poissons et les confier à ma mère,
pour qu’elle les jette sur les pieds de la mariée, en lui souhaitant santé et
fertilité.
     
    *
     
    Avant la fin de cette année-là, Fatima était
enceinte, et j’éprouvai tout de suite le besoin de trouver un travail mieux
rétribué que celui du maristan. Fille de libraire, ma mère m’incita à me lancer
dans le négoce, ce qui ne me déplaisait nullement étant donné mon goût pour les
voyages. Elle agrémenta son conseil d’une prédiction qui, sur le moment, me fit
sourire :
    « Bien des hommes découvrent le vaste monde
en cherchant seulement à faire fortune. Quant à toi, mon fils, c’est en
cherchant à connaître le monde que tu trébucheras sur un trésor. »

L’ANNÉE DE FORTUNE

915 de l’hégire (21 avril
1509 – 9 avril 1510)
     
    Fatima me donna une fille aux derniers jours de l’été ;
je l’appelai Sarwat, Fortune, car cette année-là vit le début de ma prospérité.
Si celle-ci fut éphémère, je ne saurais me plaindre, puisqu’elle m’a été
reprise comme elle m’avait été donnée, par la volonté souveraine du
Très-Haut ; je n’avais apporté que mon ignorance, mon arrogance et ma
passion de l’aventure.
    Avant de m’engager dans la voie du négoce, je m’en
fus rendre visite à messire Thomasso de Marino, le vieux Génois que j’avais
connu sur la route de Tombouctou et qui était, de tous les commerçants
étrangers installés à Fès, le plus respecté pour sa sagesse et sa droiture. Je
voulais lui demander conseil, et peut-être travailler quelque temps à ses
côtés, l’accompagner dans quelque voyage. Bien qu’il fût alité, il me reçut
avec de grandes marques d’amitié, évoquant avec moi la mémoire de mon oncle,
ainsi que des souvenirs plus souriants de notre caravane.
    La raison de ma visite le plongea dans une longue
réflexion ; ses yeux semblaient me jauger, passant de mon bonnet en feutre
vert à ma barbe soigneusement coupée, puis à ma veste brodée aux manches larges
et majestueuses ; ses sourcils blancs avaient l’air d’une balance qui
pesait le pour et le contre ; puis, ayant apparemment dépassé ses
hésitations, il me fit une offre inespérée :
    « C’est le Ciel qui t’envoie, mon noble ami,
car je viens de recevoir d’Italie et d’Espagne deux importantes commandes de burnous
noirs, l’une de mille pièces, l’autre de huit cents, qui doivent être livrées
au début de l’automne. Comme tu le sais, les plus appréciés en Europe sont les
burnous de Tefza, que je serais allé moi-même chercher si ma santé était
meilleure. »
    Il m’expliqua le marché : je recevrais deux
mille dinars, mille huit cents pour acheter la marchandise, à raison d’un dinar
par burnous, au prix de gros, le solde pour mes frais et ma peine. Si je
parvenais à obtenir des fabricants un meilleur prix, ma part serait plus
grande ; si je devais acheter plus cher, je serais obligé de payer avec
mon propre argent.
    Sans trop savoir si je faisais une bonne ou une
mauvaise affaire, j’acceptai avec

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