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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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combat pour la défense de mon royaume, qui
est aujourd’hui bien affaibli. Tanger est aux mains des Portugais, ainsi qu’Arzilla
et Sebta ; Larache, Rabat, Chella et Salé sont menacées, Anfa est détruite
et ses habitants la fuient. Au nord, ce sont les Espagnols qui occupent, l’une
après l’autre, les villes de la côte. »
    Il m’attira vers lui et baissa la voix. Ses
familiers s’éloignèrent, mais non sans tendre imperceptiblement leurs oreilles.
    « Dans quelques mois, je vais lancer mon
armée à nouveau contre Tanger et Arzilla, avec l’espoir que le Très-Haut m’accordera
cette fois la victoire. Je voudrais que, dans cette affaire, le chérif se
comporte en allié et, plutôt que de soulever les provinces contre les rois
musulmans, qu’il attaque les Portugais en même temps que moi, car nous sommes
tous les deux des combattants de la guerre sainte. Puis-je te confier cette
mission ?
    — Je ferai de mon mieux, car rien ne m’est
plus cher que l’union des musulmans. Dès que tu me l’ordonneras, je partirai
pour le Sous, afin de rencontrer Ahmed, et je ferai tout pour le rendre
conciliant. »
    Le souverain me tapota l’épaule en signe de
satisfaction et demanda au capitaine des estafiers et au chancelier, garde du
sceau royal, de s’approcher :
    « Vous enverrez ce soir même un messager à la
maison du Zerouali. Vous lui ordonnerez de s’absenter de notre cité pour deux
ans au moins. Qu’il aille en pèlerinage, puis qu’il rentre quelque temps dans
son village natal. »
    Tous les courtisans écoutaient goulûment. En
quelques heures, la rumeur allait faire, de bouche en bouche, le tour de la
ville. Plus personne n’oserait saluer le banni, plus personne n’oserait lui
rendre visite, et l’herbe ne tarderait pas à pousser sur le chemin de sa
maison. Je savourais ma juste vengeance, sans savoir qu’elle allait attirer sur
les miens un surcroît de malheur.
    Lorsque je pris congé du souverain, il m’ordonna
de revenir le lendemain, car il avait le désir de me consulter sur les finances
du royaume. Désormais, j’étais auprès de lui chaque jour, assistant à ses
audiences, recevant parfois moi-même certaines requêtes, ce qui ne manquait pas
de susciter la jalousie des autres dignitaires. Mais je ne m’en souciais guère,
car mon intention était de partir dès le printemps pour le Sous et, à mon
retour, de m’occuper de mes caravanes, surtout de mon palais qui, dans ma tête,
grandissait et embellissait, mais qui sur le terrain n’avançait guère, car les
derniers mois de cette année-là avaient été pluvieux et froids, et le chantier
de mes rêves n’était plus qu’une mare de boue.

L’ANNÉE DU CHÉRIF BOITEUX

917 de l’hégire (31 mars
1511 – 18 mars 1512)
     
    Cette année-là, comme prévu, le sultan de Fès et
le chérif boiteux lancèrent, chacun de son côté, des attaques contre les
Portugais, le premier voulant reprendre Tanger, le second cherchant à délivrer
Agadir ; ils furent tous les deux repoussés, avec de lourdes pertes, ce
dont on ne trouve pas trace dans les poèmes composés en leur honneur.
    Je m’étais arrangé pour être présent lors de ces
journées de combat, m’imposant de consigner, chaque soir, mes impressions par
écrit. En les relisant, à Rome, quelques années plus tard, je fus étonné de
voir que je n’avais pas consacré la moindre ligne au déroulement des batailles.
Seul avait retenu mon attention le comportement des princes et de leurs proches
devant la défaite, comportement qui ne manqua pas de me surprendre, bien que la
fréquentation de la cour m’eût délesté de certaines naïvetés. Je ne citerai qu’un
court extrait de mes notes, à titre d’illustration.
     
    Faits consignés ce jour, l’avant-dernier du
mois de rabih-awwa l 917 correspondant au mercredi 26 juin de l’an
du Christ 1511.
    Les cadavres des trois cents martyrs tombés
devant Tanger sont ramenés vers le camp. Pour fuir ce spectacle qui effrite mon
cœur, je me rends à la tente du souverain, que je trouve en conférence avec le
garde du sceau royal. En me voyant, le monarque me fait signe d’approcher.
« Écoute, me dit-il, ce que notre chancelier pense de cette
journée ! » Ce dernier explique, à mon intention : « Je
disais à notre maître que ce qui vient de se produire n’est pas une si mauvaise
chose, car nous avons montré aux musulmans notre ardeur à la guerre sainte,
sans que les Portugais se sentent

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