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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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s’il avait entendu, le poète la regarda avec
autant de compassion que de désir, et, interrompant le cours de sa diction, il
improvisa deux vers, prononcés d’une voix chantonnante :
     
    L’amour est soif au bord d’un puits,
    L’amour est fleur et non pas fruit.
     
    D’un geste spontané, je pris ma bourse et la lui
lançai. Elle devait contenir plus de cinquante dinars. Mais le sourire qui
éclaira le visage de Hiba n’avait pas de prix. Je passai la nuit entière à le
cueillir.
     
    *
     
    Six mois après ce banquet, je reçus la visite d’un
officier de la garde royale : le sultan me convoquait pour ce jour-là,
juste après la sieste. Je mis des habits de circonstance et partis pour le
palais, fort intrigué, et non sans un pincement d’inquiétude.
    Le souverain m’accueillit avec un débordement d’amabilités,
et ses familiers l’imitèrent, zélés et grimaçants. Il évoqua ma première
visite, à mon retour de Tombouctou, ainsi que ma médiation à Tefza, qui avait
rapporté à son trésor cette année-là plus d’or que toute la ville de Fès. Après
avoir fait l’éloge de mon oncle, de mes aïeux, de Grenade, il se mit à vanter à
mes proches ma prospérité, mon éloquence, mon habileté et mes vastes
connaissances, acquises dans les plus prestigieuses écoles de Fès.
    « N’as-tu pas connu Ahmed-le-Boiteux à la médersa ?
    — C’est exact, seigneur.
    — On m’a dit que tu étais l’un de ses
meilleurs amis, le seul qu’il écoutait avec respect et attention. »
    Je compris sur-le-champ la raison de la
convocation et des louanges inattendues. Ahmed commençait à prendre de l’importance,
beaucoup de jeunes étudiants de Fès et de Marrakech avaient quitté leurs foyers
pour aller prendre les armes à ses côtés dans la lutte contre la lente invasion
portugaise qui menaçait toute la côte atlantique. Le Boiteux parcourait le pays
avec ses partisans, critiquant en termes sévères le souverain de Fès, qui s’en
inquiétait et cherchait à parlementer avec le dangereux rebelle. Par mon
intermédiaire.
    Je décidai de profiter de l’occasion pour régler
certains vieux comptes qui me tenaient à cœur.
    « Le chérif Ahmed venait souvent chez moi, du
temps du collège. Il s’est montré un véritable frère lorsque ma sœur a été
internée au quartier des lépreux, Dieu efface ce souvenir de ma mémoire et de
la sienne ! »
    Le souverain se racla la gorge, pour cacher son
embarras.
    « Qu’est devenue cette malheureuse ?
    — Un brave garçon, un portefaix, a obtenu sa
main, puis il s’est enfui quelque part avec elle, sans oser donner la moindre
nouvelle, comme s’ils étaient des malfaiteurs.
    — Voudrais-tu pour eux un sauf-conduit ?
Une grâce ? Mon secrétaire la préparera.
    — Votre bonté est sans limite ! Dieu
vous accorde longue vie ! »
    Je me devais de prononcer les formules consacrées,
mais j’étais déterminé à ne pas lâcher prise. Je me penchai vers l’oreille du
monarque.
    « Mon ami le chérif Ahmed a été très affecté
par le sort injuste subi par ma sœur, victime de l’odieuse vengeance du
Zerouali.
    — On m’a rapporté le rôle joué par cet
homme. »
    Je n’étais pas peu surpris de savoir que le
souverain avait été averti de ces événements dans le détail ; je ne lui
demandai pas pourquoi il n’avait rien fait à l’époque, car je tenais à le
mettre de mon côté. Je poursuivis donc, toujours à voix basse :
    « Pour Ahmed, le Zerouali était devenu l’exemple
de cette dépravation qui, selon ses dires, corrompt les mœurs des gens de Fès.
J’ai même appris qu’il avait parlé de cet homme, à plusieurs reprises, dans ses
harangues.
    « Dieu le guide sur le chemin de la
vérité ! » ajoutai-je prudemment, pour ne pas avoir l’air de partager
les opinions du Boiteux.
    Le sultan sembla réfléchir, hésiter. Puis, sans
rien dire, il ajusta son turban et se redressa sur son siège.
    « Je voudrais que tu ailles voir
Ahmed. »
    Je baissai la tête en signe d’écoute. Il
poursuivit :
    « Tu vas chercher à le calmer, à le ramener à
de meilleurs sentiments envers moi, envers notre dynastie et la ville de Fès,
Dieu la protège des infidèles et des ambitieux ! Je suis prêt à aider ce
jeune chérif, par l’argent et par les armes, dans sa lutte contre les
envahisseurs portugais, mais j’ai besoin d’être tranquille sur mon flanc si je
dois me lancer à mon tour dans le

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