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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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parole de l’officier, je partis
voir les notables et leur fis part de l’accord. Les voyant réticents, je leur
dis qu’une lettre venait d’arriver de Fès, portant le sceau du sultan et
exigeant l’exécution immédiate de toutes les personnalités de la ville. Ils se
mirent à pleurer et à se lamenter, mais, comme je le raconte dans ma Description de l’Afrique, dans les deux jours, les quatre-vingt-quatre
mille dinars furent déposés aux pieds de l’officier. Je n’avais jamais vu
pareille quantité d’or, et je devais apprendre plus tard de la bouche du sultan
que ni lui ni son père n’avaient encore possédé dans leurs caisses une telle
somme.
     
    *
     
    Au moment de quitter Tefza, je reçus de précieux
cadeaux des notables, heureux d’avoir sauvé leur vie et leur ville, ainsi qu’une
somme d’argent de l’officier, qui me promit de raconter au souverain quel rôle
j’avais joué dans cette curieuse affaire ; il me donna également un
détachement de douze soldats qui accompagnèrent ma caravane jusqu’à Fès.
    Avant même d’aller chez moi, je passai voir
messire de Marino. Je lui livrai sa commande et lui rendis ses serviteurs, son
cheval et ses mules ; je lui fis également des cadeaux pour une valeur de
deux cents dinars et lui racontai mon aventure sans omettre aucun détail, lui
montrant toute la marchandise que j’avais pu acquérir pour mon compte ; il
l’évalua à quinze mille dinars au moins.
    « Il m’a fallu trente ans pour ramasser une
telle somme », me dit-il sans aucune pointe de jalousie ni d’envie.
    J’avais l’impression que le monde entier m’appartenait,
que je n’avais plus besoin de rien ni de personne, que la fortune m’obéirait
désormais au doigt et à l’œil. Je ne marchais plus, je volais. Au moment de
prendre congé du Génois, il me serra longuement la main en se penchant
légèrement en avant ; je restai droit, la tête haute, le nez relevé. Le
vieil homme garda ma main fermement dans la sienne, bien plus longtemps que de
coutume, puis, sans se redresser, il me regarda dans les yeux :
    « La fortune t’a souri, mon jeune ami, et je
suis aussi heureux pour toi que si tu étais mon fils. Mais prends garde, car la
richesse et la puissance sont ennemies du bon jugement. Lorsque tu observes un
champ de blé, ne vois-tu pas que certains épis sont droits et d’autres
courbés ? C’est parce que les premiers sont vides ! Préserve donc
cette humilité qui t’a mené vers moi et qui t’a ainsi ouvert, par la volonté du
Très-Haut, les voies de la fortune. »
     
    *
     
    Cette année-là connut la plus puissante offensive
jamais lancée par les Castillans contre le Maghreb.
    Deux des principales villes de la côte furent
prises, Oran au mois de moharram, Bougie en ramadane. Tripoli de
Berbérie allait tomber dès l’année suivante.
    Aucune de ces trois cités n’a été reprise depuis
par les musulmans.

L’ANNÉE DES DEUX PALAIS

916 de l’hégire (10 avril
1510 – 30 mars 1511)
     
    Sur tes joues, j’ai fait fleurir une rose,
    Sur tes lèvres, j’ai fait éclore un sourire,
    Ne me repousse pas, car notre Loi est
claire :
    Tout homme a le droit de cueillir
    Ce qu’il a lui-même planté.
     
    J’avais désormais un poète de cour, amoureux de
mon vin et de mes servantes, avide de mon or, prompt à chanter les louanges de
mes visiteurs, et surtout les miennes, à chaque fête, à chaque retour de
caravane, parfois même simplement aux heures des repas, quand se rassemblaient
autour de moi amis, parents, employés attentifs, marchands affairés, ulémas de
passage, maçons préposés à la construction de mon palais.
    Depuis mon voyage à Tefza, mes richesses s’étaient
multipliées, mes agents parcouraient l’Afrique, de Bedis à Segelmesse, de
Tlemcen à Marrakech, chargés de dattes, d’indigo, de henné, d’huiles ou d’étoffes ;
je ne me déplaçais que pour les grandes caravanes. Le reste du temps, je
régentais mes affaires à partir de mon diwan, et supervisais, une canne
à la main, le chantier de ma nouvelle demeure, sur une colline, non loin de la
maison de mon oncle où je m’étais installé en maître à la naissance de ma fille
mais qui me semblait chaque jour plus étroite, plus modeste, plus indigne de ma
fortune. J’attendais avec impatience le jour où je pourrais habiter dans mon
palais, mon superbe, mon incomparable palais dont je rêvais et parlais sans
arrêt, et pour lequel j’avais

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