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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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les
parages, s’acharner à nouveau sur lui, sur Mariam et sur les deux garçons qu’elle
lui avait déjà donnés ? La méthode, en tout cas, était celle d’un vengeur.
    Haroun traîna sa victime jusqu’à la maison. Les
voyant arriver, ma sœur était plus terrorisée que le Zerouali. Son mari ne lui
avait rien dit de son projet, ni de la venue de son ancien fiancé dans le Rif.
Elle n’avait d’ailleurs jamais vu le vieil homme et ne pouvait comprendre ce
qui se passait.
    « Laisse les enfants ici et suis-moi »,
ordonna Haroun.
    Avec son prisonnier, il entra dans la chambre à
coucher. Les ayant rejoints, Mariam rabattit la tenture de laine qui servait à
fermer la pièce. « Regarde cette femme, Zerouali ! » En
entendant ce nom, ma sœur laissa échapper une imprécation. Le vieil homme
sentit la lame du poignard s’appuyer contre sa mâchoire. Il s’écarta
imperceptiblement, sans ouvrir la bouche. « Déshabille-toi,
Mariam ! »
    Elle regarda le Furet avec des yeux incrédules,
horrifiés. Il hurla de nouveau :
    « C’est moi, Haroun, ton mari, qui t’ordonne
de te déshabiller ! Obéis ! »
    La pauvre fille découvrit ses joues et ses lèvres,
puis sa chevelure, avec des gestes maladroits, saccadés. Le Zerouali ferma les
yeux et baissa ostensiblement la tête. S’il voyait le corps nu de cette femme,
il savait quel sort l’attendait. « Redresse-toi et ouvre les
yeux ! » L’ordre de Haroun s’accompagna d’un mouvement brusque du
poignard. Le Zerouali se redressa, mais il garda les yeux hermétiquement clos.
    « Regarde », insista Haroun, pendant que
Mariam dénouait ses vêtements d’une main, essuyant de l’autre ses larmes.
    Sa robe tomba.
    « Regarde ce corps ! Vois-tu quelque
trace de lèpre ? Va l’examiner de plus près ! »
    Haroun se mit à secouer le Zerouali, le poussant
en direction de Mariam, puis le ramenant en arrière, avant de le pousser à
nouveau, violemment, en le lâchant. Le vieil homme alla s’écrouler aux pieds de
ma sœur, qui poussa un cri.
    « Ça suffit, Haroun, je t’en
supplie ! »
    Elle observait avec autant de compassion que de
terreur cette loque malfaisante qui gisait à ses pieds. Le Zerouali avait les
yeux entrouverts, mais il ne bougeait plus. Haroun s’approcha de lui, méfiant,
lui tâta le pouls, lui toucha les paupières, puis il se releva, nullement
troublé.
    « Cet homme méritait de mourir comme un chien
aux pieds de la plus innocente de ses victimes. »
    Avant le soir, Haroun avait enterré le Zerouali
sous un figuier, sans lui avoir ôté ni robe, ni socques, ni bijoux.

L’ANNÉE DE LA TEMPÊTE

918 de l’hégire (19 mars
1512 – 8 mars 1513)
     
    Cette année-là, Fatima ma femme est morte en
couches. Trois jours durant, je l’ai pleurée comme je ne l’avais jamais aimée.
L’enfant, un mâle, n’a pas survécu.
    Peu avant les condoléances du quarantième, je fus
convoqué d’urgence au palais. Le sultan revenait tout juste de sa nouvelle
campagne d’été contre les Portugais, et, bien qu’il n’y eût enregistré que des
revers, je ne m’expliquais pas les visages fermés qui m’accueillirent à peine
franchi le grand portail.
    Le monarque lui-même ne me manifesta aucune
hostilité, mais son accueil était sans chaleur et sa voix était
sentencieuse :
    « Tu as sollicité il y a deux ans la grâce de
ton beau-frère, Haroun le portefaix. Nous l’avons accordée. Mais au lieu de s’amender,
au lieu de se montrer reconnaissant, cet homme n’est jamais rentré à Fès,
préférant vivre en hors-la-loi dans le Rif, guettant l’occasion de se venger du
vieux Zerouali.
    — Rien ne prouve, Majesté, que Haroun soit l’agresseur.
Ces montagnes sont infestées de coupeurs de… »
    Ce fut le chancelier qui m’interrompit, son ton
plus haut que celui du souverain :
    « Le cadavre du Zerouali vient d’être
retrouvé. Il était enterré près d’une maison où habitaient ta sœur et son mari.
Les soldats ont reconnu la victime, ses bijoux n’avaient pas été enlevés.
Est-ce là le crime d’un simple coupeur de routes ?
    Je dois avouer que dès les premières nouvelles de
la disparition du Zerouali, parvenues à Fès quatre mois plus tôt, et alors même
que je ne connaissais pas le moindre détail révélateur, l’éventualité d’une
vengeance de Haroun m’avait traversé l’esprit. Je savais le Furet capable d’aller
jusqu’au bout de ses haines, et je n’ignorais pas

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