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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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dire : la pestilence noire est ici, à Abbeville… Elle nous observe et assaille les plus enjoués, les plus vigoureux… On brûle ou enfouit dans le sol ses victimes qui, pour le moment, ne sont pas très nombreuses… encore que, chaque nuit, des charrettes aux roues enveloppées de linges, tirées par des bœufs déferrés, ensabotés de lainages épais, emportent les martyrs hors de notre cité… Les fossoyeurs doivent changer de vêtements avant de revenir en ville quand ils ont achevé d’ensépulturer les corps ou de les arser [48] . Les charretiers sont tenus, sous peine de male mort, de mettre un surcot rouge, reconnaissable, et des gants de cuir. Le mal n’a pas atteint le centre d’Abbeville. Je sais qu’il s’en approche par le Ponant… C’est un vent d’ouest, un vent de mauvaiseté qui nous l’apporte. Lorsque vous partirez, vous verrez, dans les for-bourgs, des maisons aux portes peintes en rouge, condamnées… Je ne vous parlerai pas des imblocations [49] secrètes, la nuit, dans les jardins.
    — Comment lutter ? interrompit Loïs de Saveuse.
    — On ne le peut. Le roi Philippe a ordonné aux médecins de Paris de rédiger une consultation sur les moyens de vaincre l’épidémie. Il doit y avoir beaucoup de parlures et peu de résultat… Mais n’ayez crainte en ce qui vous concerne : le Chapon couronné est préservé… pour le moment. J’ai diffusé dans toutes les chambres et aux cuisines un encens de ma composition… J’en ai eu la recette dans un grand livre sorti d’une commanderie de chevaliers du Temple.
    « Lui aussi », songea Ogier. « Sa science égale peut-être celle de Benoît Sirvin. Pourquoi lui mesurer ma confiance ? »
    — Ailleurs, poursuivait Firmin de Maignelay, je répands des essences, des trocisques [50] , pommes de senteurs contre la perniciosité de l’air.
    Barbeyrac se leva pour soulager ses jambes lasses. Il fit deux pas, revint s’asseoir et demanda :
    — Avez-vous, messire, soigné et guéri quelques gens atteints de la morille ? Pensez-vous qu’on puisse renaître à la vie après qu’on a ces maléfices dans le corps ?
    Le mire parut soudain embarrassé pour répondre. Ogier vit ses poings se serrer et frapper le dessus de son scriptional :
    — J’ai tiré du trépas une seule pucelle. C’était peu, j’en conviens. L’on s’est mis à me détester ; l’on m’a enjoint de quitter la cité. Je ne me rends plus sur les lieux où l’on meurt… Vous pouvez, je sais bien, m’accuser de couardise… Je n’en éprouve aucune envers ce mal ; seulement envers mes semblables. Ils m’ont menacé d’occision pour n’avoir pas ressuscité des hommes et des femmes réduits à l’état de pourriture. Le bourreau a reçu commandement de tuer les chiens errants et les chats. Pour les chiens, passe encore, mais les chats !… En tuant les rats qui transportent le mal, ils sont d’une aide… inestimable. Il faudrait aussi jeter les eaux sales uniquement dans les ruisseaux et nettoyer les seaux d’aisance à l’eau claire… interdire la pêche, bien sûr ; distribuer, sans qu’il soit question d’en acquitter le prix, mon encens à toutes les familles… Nul n’a chez soi de genius loci… de génie protecteur… Il faut s’y enfermer le temps que le mal s’épuise.
    Ogier écoutait. Son esprit se troublait ; son courage s’altérait. De la confiance au doute et du doute à la peur, il n’avait jamais aussi rudement senti le poids de ses os, de ses chairs, de ses entrailles. Tout allait-il bien dans cette poitrine ? Dans ces aines ? Dans ces aisselles ? Le fait d’y penser titillait ces lieux précis de sa personne. Était-il menacé ? En ce cas, comment échapperait-il au mal ? Éviter de songer à son corps ? C’était impossible maintenant. N’être qu’une foi ; une foi en soi-même ? Vaine présomption : rien ne pourrait conjurer sa hantise d’être un jour, peut-être, une charogne gonflée, crevassée, puante, gémissante et hurlant à la mort.
    — Nous avons un long reze [51] à faire, dit-il. Gagner la Normandie… Savez-vous si nous y serons en danger ?
    Le mire sourcilla. Pour une fois sa tête demeura figée.
    — Les vents pestilentiels viennent de Normandie… Mais le royaume de France est tout entier la proie de la morille. C’est du moins ce que je sais par des gens qui passent et parfois trépassent… On a vu paraître, ça et là, des pénéants. Ils issirent d’Allemagne.

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