L'épervier de feu
Ils se frappent à coup d’escourgies à bourdons et aiguillons de fer. Ce sont des marmousets dont la morille n’a point peur [52] !
Barbeyrac s’approcha du mire et se fit plus que courtois, obséquieux :
— Nous voudrions un remède… Des remèdes afin d’affronter cette adversité…
— Je paierai ce qu’il faudra, dit Loïs de Saveuse.
Le mire se gratta la nuque. Il semblait indécis. Pour quelle raison ?
— Pourquoi meurt-il, l’homme dont la sauge pousse dans le jardin ?
Les trois compagnons s’entre-regardèrent. Où cet homme-là voulait-il en venir ? D’un geste, Firmin de Maignelay les rassura :
— Cette phrase n’est point mienne, messires. Elle est écrite sur les Grands Livres de l’école de Salerne. Elle me paraît juste. Elle illumine, en quelque sorte, les ténèbres de ces temps difficiles… La sauge, c’est l’herbe sacrée, la salvia salviatrix, l’herbe qui sauve… Elle doit ses vertus à son salviol ou camphre de sauge… Elle arrête les sueurs, empêche les fièvres, les rhumes ; apaise les toux et douleurs d’estomac… Je l’ai administrée à des filles pubères pour hâter leur formation.
— Nous ne sommes pas des donzelles, ricana Barbeyrac, mais des guerriers qui allons devoir affronter un ennemi invisible dont on ne peut triompher par l’épée.
Il concevait nettement qu’il devenait irrespectueux. Il avait peur, lui aussi. Il en voulait au mire de prendre son temps. Ogier vit sur le front de son compère les brillances d’une sueur plus éloquente que des mots.
— Holà ! dit Firmin de Maignelay. On dirait, messire, que la crainte vous hante… Votre regard vif est pourtant le signe d’une bonne santé !… Si je dois vous fournir un conseil à tous trois, c’est celui-ci : éloignez-vous des hommes, femmes, enfants corrompus. Vous les reconnaîtrez : ils répandent autour d’eux une odeur de latrines… Point de pitié : fuyez la contagion. Morbi contagioni ! Voilà votre devise, votre bouclier, votre sauvegarde !… Sachez que respirer l’air des malades est le meilleur moyen de se condamner à cette phlegmasie mortelle !
Le mire secouait sa tête maigre avec plus de violence que précédemment. L’impatience de Barbeyrac l’avait, au plein sens du terme, ébranlé. Il dit enfin, après avoir considéré son cerf cornu comme pour obtenir son avis :
— Je vais vous donner ou plutôt vous vendre quelques pintes d’un vin dans lequel j’ai fait macérer une décoction de sauge… Je vous vendrai également un tonnelet de vinaigre auquel j’ai incorporé de la sauge… Le vin, vous le boirez tout au long de votre chevauchée. Quelques gorgées suffiront… Le vinaigre ? Vous vous en frotterez le corps matin et soir avec un linge… Je vous vendrai en complément un électuaire de sirop cordial… Vous pourrez ainsi vous engager résolument sur les chemins de Normandie. Mais surtout, surtout, messires, conservez pour vous trois ces remèdes !… Essayez de chevaucher au bord de la mer : l’air du large n’est point souillé. Mangez des huîtres, des palourdes et autres coquillages. Privez-vous de pain : il peut avoir été pétri par des mains malades… Soyez propres et circonspects.
— Et vous croyez qu’ainsi… commença Loïs de Saveuse.
— Je ne crois pas, messire. Je suis certain que votre corps sera préservé de l’épidémie plus parfaitement que ne le ferait votre armure de fer.
— Supposez que l’un de nous soit atteint ?… Faudra-t-il l’abandonner ?
Ogier se demanda si ses craintes n’allaient pas susciter, chez Firmin de Maignelay, une compassion mensongère. Sitôt tous ses médicaments vendus, il se soucierait aussi peu de leur pouvoir que du sort de ceux qui les avaient emportés. Cependant, le vieillard n’éluda point ces questions :
— Si l’un de vous se plaint, faites-lui des saignées afin de le soulager d’un sang impur. Mûrissez les aposthèmes, ou si vous préférez, les bosses, avec des oignons cuits, pilés, mélangés à du levain et du beurre. Une fois ouverts, traitez-les comme des ulcères… Je vais vous donner une boîte qui contient un onguent à la sauge…
*
— Sauge qui peut ! s’écria Barbeyrac une fois dehors.
Cette saillie fut sans effet. Ogier qui portait sous son bras le tonnelet de vinaigre se demanda si les affusions qu’il s’en donnerait seraient aussi efficaces que Firmin de Maignelay l’avait prétendu.
Barbeyrac
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