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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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souleva la tourie de grès à col étroit, entourée d’un mantelet d’osier pourvu d’une anse, que le mire lui avait remise « en mains propres ».
    — J’aimerais que ce vin fût mauvais pour résister aux tentations d’en boire jusqu’à plus soif.
    — Mauvais ou non, Étienne, crois-tu que tu pourras en disposer à ta volonté ?… Voudrais-tu en abuser ? Adonques étrécir notre part ? Tu n’aurais point de cet onguent si le mal t’envahissait. Nous te laisserions crever.
    Ogier se demanda si Saveuse était sincère. Quelque chose semblait désunir ses compères. La haine du Goddon les avait accordés ; la peste les séparait.
    — Il nous a dit aussi de prendre des gargarismes de lavande !… Où pourrions-nous en trouver ?… Ce mire est un fou !
    — Ou un sage, Étienne. Dans son onguent magique, il y a du romarin et du thym… Il ne nous manque plus que quelques tranches de viande…
    Ogier ne disait mot. Il eût aimé, comme avant un combat, éprouver dans son être une impression de vigueur latente, de plénitude, d’impatience. Ce soir, dans les rues vides d’Abbeville, rien ne le revigorait, pas même la certitude que le Chapon couronné était un asile sûr et que bientôt, il y ferait un bon repas. Rien ne le distrayait du pressentiment lugubre que Blandine l’appelait et que l’étreinte du mal se refermait sur elle et sur leur fils, – car il ne doutait plus, soudain, qu’elle eût enfanté un mâle.
    Saveuse décida de dormir un moment. Barbeyrac en fit autant. Ogier se retrouva seul dans une chambre aussi nette qu’une cellule de moine, et parce que cette analogie, fortuite ou non, lui paraissait propice à un grand effort d’espérance, il s’agenouilla et joignit les mains.
    Il pria pour la sauvegarde de son épouse et de leur enfant ; il pria pour la protection de sa famille et des serviteurs de Gratot ; il pria pour son chien et son cheval. Son cœur battait. Était-il suffisamment fervent, suffisamment pur pour que Dieu l’entendît ? Un an d’attente ; la joie du retour et, soudain, l’abominable morille !
    Ses genoux le cuisaient. Il se releva sans que son courage eût été conforté, sans qu’il eût senti son âme s’alléger, sans que son cœur fût soulagé par la certitude qu’il arriverait à temps.
    Combien de journées pour gagner Gratot ? Quelles embûches couvaient sur les chemins de mer ?
    À table, il mangeota. Si ses compagnons s’étonnèrent de son manque d’appétit, ils lui épargnèrent les propos oiseux sur les aliments créateurs et mainteneurs de force. Saveuse, qui buvait dru, fit une allusion à la vigueur prodiguée par le vin de Bourgogne.
    — À côté de ce breuvage, dit-il, le claret des Goddons semble une pisse d’âne.
    Près de la cheminée, un couple se restaurait, face à face. L’homme avait quarante ans, sa compagne dix-huit ou vingt. Le mari, l’épouse ou l’amante ? Le père et la fille ? Bien qu’on distinguât mal les traits de cette jeune femme, son visage, comme tiré vers le bas, exprimait une angoisse infinie. Elle était à peine moins rousse que Blandine. Ses paupières cillaient peut-être sur des larmes. Parfois, une clarté jaillie du foyer illuminait sa pommette et accusait le pli d’une bouche exsangue. Aucun doute : toute sa personne dégageait de la tristesse et de la frayeur. Quelque chose de frileux apparaissait dans la courbe de son dos et le resserrement de ses bras le long du corps.
    L’esprit d’Ogier vacillait : il avait tant songé à Blandine qu’il était sûr que cette inconnue lui ressemblait, ou du moins, en ranimant les traits de son épouse dans sa mémoire prenait-il plaisir à leur donner ceux de cette personne. Afin de chevaucher à son aise, elle s’était vêtue en homme : chausses grises qui révélaient le long fuseau de la cuisse, heuses noires ; pourpoint de velours ocre sur lequel moussait un peu d’hermine aux poignets et au cou et qui serrait une poitrine étroite et comme innocente. Une chair ferme et moelleuse à la fois. Des courbes douces et tièdes auxquelles Saveuse n’était point insensible.
    L’homme avait le teint légèrement bistré, un nez en fer de serpe, des yeux petits, obliques, chargés d’inquiétude. À cause de sa compagne ? À cause de la peste ? L’hôtelier, maître Voivenel passait ; Barbeyrac l’appela :
    — Qui sont ces gens ?
    — Des mariés.
    L’hôtelier souriait comme s’il avait été le

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