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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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médiateur de cette alliance absurde.
    — Elle est bien trop belle pour lui, dit Saveuse. Hein, compères ?
    — Depuis quand, la bénédiction ? interrogea Barbeyrac.
    — Hier, messires, murmura le gros homme en se penchant un peu.
    Sa main pelue s’appuya sur la table. Ogier en éloigna son pain, tandis que Saveuse exprimait la pensée de tous :
    — Ils n’ont pas l’air d’un couple heureux.
    — Ils se sont battus cette nuit, messire. Elle lui a résisté, mais ce soir… Comprenez-vous, c’est un mariage forcé… Elle a perdu sa mère, elle est seule… Il y a trois ou quatre ans qu’il la veut…
    — Ils sont d’Abbeville ? demanda Ogier.
    — Oui, messire… Mais lui revient des Allemagnes. Il est drapier.
    — Il n’est pas chevalier mais il porte une épée.
    — On prétend qu’il sait s’en servir.
    Ogier chercha le regard de son hôte :
    — Pourquoi sont-ils céans s’ils habitent Abbeville ?
    — Elle était pauvre, sans presque rien. Il a clos sa demeure et l’emmène à Angers… Il va l’y emmurer, si vous voulez mon avis… Ils s’en vont demain matin.
    Saveuse jeta un regard oblique à Ogier. L’hôtelier s’éloigna.
    — Et si nous partions demain ? proposa Barbeyrac.
    Incarcéré dans le présent, – du moins quant à son corps –, Ogier se délivra de sa maussaderie.
    — Demain, oui… J’ai peur d’arriver trop tard…
    — Nous avons tous peur… Elle aussi , mais pas pour la même raison.
    Ogier ne savait trop ce qu’il mangeait. Du chou, sûrement ; du porc, sans doute, et des lardons. C’était nourrissant et apprêté de main de maître. Il n’y avait rien au fond des écuelles de Saveuse et de Barbeyrac – qui s’abandonnaient aux délices d’un vin suave et lourd à la fois, dépourvu de la moindre parcelle de sauge.
    Lorsque la maigre servante qui s’occupait d’eux et du couple reparut, ce fut comme une intrusion dans leur incertitude à propos de cette jeune épousée qui se refusait au devoir conjugal. L’œil du mari, posé fréquemment sur elle, avait tout de celui d’un rapace. Ogier se souvint de Charles d’Espagne. Sans en avoir les mœurs efféminées – encore qu’elles ne se devinassent que rarement –, ce drapier avait la sécheresse et la voracité de l’ami particulier du duc de Normandie. Saveuse se pencha :
    — Ce sera un tourment cette nuit, pour cette pauvrette, que de céder à ce palefrenier endimanché.
    Son visage devait le brûler tant il était rouge. Ogier sentit que, vif et prudent à la fois, le regard de la jeune femme cherchait le sien. « Ah ! non… C’est ainsi que j’ai connu Blandine… Je l’ai délivrée de son agresseur… Mon cœur et mon esprit lui ont appartenu… Et pour quels délits [53]  ? Quelques nuits de bonheur et la détresse ensuite. »
    — Il faudrait la sauver, murmura Barbeyrac.
    Saveuse se leva :
    — Je vais prévenir l’hôtelier que nous partons demain. Je lui laisserai mon gage et lui demanderai, en échange, un gros baril d’eau-de-vie. Entre notre vinaigre à la sauge et cet élixir, nous saurons quel est le meilleur remède !
    Le Cambrésien s’éloigna. Sinuant entre les tables, il heurta volontairement le drapier sans fournir la moindre excuse.
    « Qu’il se lève », souhaita Ogier. « Qu’il lui demande raison. Qu’ils s’affrontent ! »
    Mais le négociant, flairant une querelle, essuya d’une main son épaule touchée.
    — Cette dame, Étienne, me fait pitié.
    — Elle me fait envie. En l’état de jeûne où je suis, je lui ferais l’amour comme elle en doit rêver.
    — Tu me parais présomptueux… Je peux t’aider à la délivrer, mais es-tu assuré qu’elle voudra de toi ?
    Barbeyrac pinça les lèvres, fit une inspiration longue et forte comme s’il allait disparaître dans une eau profonde d’où il sortirait transi :
    — Si elle ne veut pas de moi, je me désisterai en ta faveur.
    La jeune femme s’était détournée. Ses yeux las eurent une lueur sur la signification de laquelle les deux compagnons ne purent se méprendre. Saveuse, qui revenait satisfait, se tourna vers elle et lui sourit. Puis il s’attabla devant Ogier :
    — Un tonnelet d’eau-de-vie et des vitailles pour un jour. L’hôtelier du Chapon est accommodant… Il m’a recommandé cette gentilfame…
    Et brusquement :
    — Nous la devons secourir. Sa nuit de noces ne sera rien d’autre qu’un viol. Nous ne pouvons permettre

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