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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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conventions avec la conviction de la rendre meilleure, c’était vouer son avenir, de chute en chute, à la débauche, à la perversité. C’était infailliblement s’affaiblir.
    « Elle est en vie, j’en suis certain. »
    Cette pécheresse ne méritait point la flétrissure ignoble et nauséabonde. Et Rosamonde, qui lui décochait une œillade ? Saveuse bourdonnait auprès d’elle comme une abeille autour d’une écuellée de miel, mais c’était à lui, Ogier, qu’elle réservait son attention. Les reproches dont ses regards étaient chargés passaient de la douceur à la vivacité. Aucun doute : il avait pénétré, envahi son cœur sans même qu’il s’en fut donné la peine.
    Mieux valait qu’il pensât à Blandine. Et pourtant…
    L’amour avait tôt fait de se dévorer lui-même quand il ne disposait d’aucun autre aliment. C’était ce qui leur était advenu. Leur malefaim rassasiée, la vie s’était substituée à l’envie. Leurs jeux et leurs ris s’étaient restreints par la seule volonté de Blandine, ses reniements et ses plaintes, jusqu’à leur prohibition. Cette scission venait de ce qu’ils n’étaient point adaptés l’un à l’autre, de ce qu’elle se refusait à préférer le présent au passé et à l’avenir. De ce qu’elle croyait pouvoir subroger l’arbitraire de sa volonté aux réalités de l’existence. Et pourtant !… Dès le moment qu’ils s’étaient vus aux joutes de Chauvigny, ils avaient senti qu’ils avaient besoin l’un de l’autre. L’amour ne pouvait vivre de simagrées et de contraintes. Désormais, quand il s’évertuait à le ressusciter, il lui trouvait un goût de cendre, une odeur de pluie ou de feuilles pourries : l’automne d’une passion. Pour étreindre son épouse, il avait appris à connaître l’avilissement. Cet abaissement, il se fût défendu de le montrer à son pire ennemi.
    « On s’est désaccouplés », songea-t-il. « Je me dois, cependant, pour l’enfant qui est nôtre, de feindre un sentiment dont je suis dépourvu. Seule la charité me soutient et me guide. »
    L’absence les avait changés l’un et l’autre. Ce serait pour se soustraire aux atteintes de la morille que Blandine, si elle vivait, se précipiterait dans ses bras. Point d’amour, seulement un désir fiévreux de protection qu’il se savait impuissant à satisfaire. On ne pouvait lutter contre la pestilence. Dieu lui-même et Son Fils en étaient incapables – à moins qu’ils ne l’eussent voulue. Mais pour quelle raison ?
    Plus il approchait de Gratot, plus il sentait sur le château et sa mesnie la pesanteur irrémédiable du mal maudit.
    — Une cité enfin ! dit Barbeyrac. Voyez ces feux !
    Ils s’approchèrent lentement. Quinze jours plus tôt, leur circonspection les eût fait sourire ; maintenant, elle leur collait à l’esprit : ils ne pouvaient s’en dispenser.
    Le ciel était exangue, des coups de vent inégaux et glacés cinglaient les herbes, les arbres. Les feuilles dont le sol était jonché par endroits toupinaient avec un bruit de crécelle.
    — Je n’aime pas, dit Rosamonde.
    Ils atteignaient l’entrée du petit bourg quand deux hommes armés de fourches sautèrent d’un talus et leur interdirent le passage :
    — Allez-vous-en !… La peste tue nos gens !
    — Nous venons d’en antoiser [62] vingt ! Ils brûlent !… Guerpissez !
    Ils obéirent, et tandis qu’ils respiraient cette fumée de mort que les souffles tantôt drus, tantôt clairsemés, mais âpres, poussaient vers le Ponant avec une émulation cruelle, ils durent ouïr des cris désespérés, des sanglots et gémissements. Rien ne subsisterait, sans doute, de ce village, pas même ceux qui en empêchaient l’approche.
    La nuit posait sur la campagne un vélum sulfureux, de sorte qu’on y voyait encore. Il y avait toujours des mamelons herbus, mais rien n’en venait occuper le sommet.
    —  Ils se sont arrêtés… Ils ne nous pourchasseront qu’en plein jour.
    Ogier ébaucha un sourire sans malice à l’adresse de Barbeyrac : depuis que Rosamonde chevauchait en leur compagnie, il déraisonnait presque autant que Saveuse.
    — S’arrêter, c’est peut-être nous perdre. Ils sont derrière nous. Il faut nous trouver un gîte, brûler du bois pour en chasser les miasmes et attendre demain pour manger… Un lieu qui soit exhaussé afin que nous puissions mieux nous défendre et même déceler les approches.
    — Regardez !

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