L'épervier de feu
son pourpoint.
Sans qu’il reçût l’éperon, le cheval changeait continuellement de pied. Son arrière-train tendu donnait à penser qu’il allait bondir sur la pente et galoper. Franque-Vie observait, méditait, impassible, mystérieux, tous ses sens imprégnés d’une haine infinie, les yeux fixes au bord de son chaperon noir.
Le coursier encensa comme s’il approuvait une confidence assortie d’une détermination hardie. Ogier, qui avait laissé partir ses compagnons, défia cet homme aussi net et féroce qu’un coup d’estoc.
— Je réprouve ce rapt mais je ne te plains pas !
Avait-il hurlé cette phrase ? L’avait-il seulement suscitée dans sa bouche ?
Le cheval blanc parut tout à coup desrayé [58] . Franque-Vie l’assagit de la voix en levant haut son épée. Ils disparurent sur l’autre versant de la butte.
Ogier, d’un court galop, rejoignit ses compagnons auxquels il ne dit mot : tout commentaire lui paraissait oiseux. Rosamonde alentit l’amble de sa jument louvette.
— Êtes-vous inquiet ?
— Moins que vous, belle dame, et plus que mes compères.
Ogier se tut dans l’attente d’une remarque sur lui, sur l’autre, mais le silence de Rosamonde persista. Il en fut irrité. Un long frisson glacé lui parcourut l’échine. Il eut à nouveau conscience de côtoyer des êtres très différents de lui. Il les accompagnait ou ils l’accompagnaient ; cependant, il était seul.
Il se retourna comme pour mesurer les limites de son isolement. Son regard se porta sur une autre bosse herbue, voisine de celle où l’apparition s’était produite. Franque-Vie était là. Un homme coiffé d’une barbute et qui montait un cheval noir se trouvait auprès de lui.
— Ils sont deux, maintenant, releva Barbeyrac. S’il engage un homme à chaque lieue, c’est une armée, bientôt, qu’il nous faudra combattre.
Ogier se tint coi. Persuadé d’avoir à livrer bataille, il ne disposait encore d’aucun indice pour en prévoir le lieu, le jour et la forme. Il fallait qu’il s’exerçât à l’arc. S’il était certain de n’avoir rien perdu de son habileté, il avait besoin de s’en administrer la preuve.
— Il me tarde que nous fassions halte, dit Saveuse. Vous n’en parlez pas, m’amie, mais vous êtes tanée [59] . Voulez-vous un petit repos ?
Rosamonde ignora cette amabilité : la sollicitude dont Loïs l’entourait ne la touchait pas, – et même l’enfelonnait [60] sans qu’elle osât trop le laisser paraître.
— Je suis las, moi aussi, avoua Barbeyrac.
— Rien, dit Ogier, ne répond à nos espérances.
Il avait plu toute la matinée. Ils avaient contourné des cités et des bourgs accablés d’une pluie fine, – une fumée d’eau que le vent lacérait en charpies qui s’accrochaient aux ronces et aux coqs des clochers. Transis de froid et d’inquiétude, ils s’étaient abrités dans le chœur d’une église ruinée par les Anglais lors de leur chevauchée de l’été 1346. Un soleil de misère était apparu. Ils avaient épuisé leurs victuailles avant de remonter en selle à peu près secs. Ils devaient trouver dès maintenant un asile et de la nourriture. Ils passeraient la nuit à veiller non seulement sur Rosamonde, mais sur eux-mêmes. Un guet sans faille s’imposait.
— D’où vous vient cette navrure à l’oreille, messire ?
— On me l’a faite, dame, voici un an, dit Ogier en portant la main à sa tempe senestre. Une sagette galloise lors d’une bataille, à Sangatte.
Il ne put qu’apprécier le bel ovale du visage de Rosamonde que des prunelles d’un bleu intense illuminaient d’une sorte de naïveté, de malignité sans doute : c’était une lueur d’un éclat froid, émanation d’un sentiment aigu et violent qui résistait à l’analyse. Même enfermé dans son armure, il s’en fut senti percé. Il n’avait rien commis qui méritât la gratitude de cette femme et c’était pourtant lui qu’elle dévisageait dès que les autres étaient occupés à des entretiens brefs, qu’elle devait juger vains. De pareils rapports limités à des regards, jamais à des sourires, ne pouvaient qu’engendrer chez lui, passé l’incertitude du premier soir, de la prévention, voire du recul. Il eût pu ne l’aimer guère, or il ne l’aimait point. À plusieurs reprises, elle avait fait en sorte que leurs mains se touchassent, ou leurs coudes, leurs hanches. Elle n’éprouvait pour lui qu’une espèce
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