L'épervier de feu
Je ne me nomme plus Loïs si ce que j’entrevois n’est pas un châtelet !
Des formes noires s’érigeaient devant eux.
— Nous nous sommes trop anuités. Comment savoir si c’est un château ?
— J’ai bonne vue. C’est un château, dit Rosamonde.
— Hâtons-nous, dit Saveuse. Je suis las de noqueter [63] .
Tous exigèrent un ultime effort de leur cheval.
Le vent soufflait de plus en plus, par courtes rafales humides. Ogier sentit l’air frais pénétrer ses narines, ses paupières mi-closes, sa poitrine. Se retournant un peu, il fut ébahi : tout en malmenant du poing et du talon sa haquenée, Rosamonde pleurait – de froid, de lassitude et d’angoisse.
— Courage ! dit-il.
Lui-même était hodé [64] . L’inquiétude l’avait affaibli autant que la chevauchée. La sensation pénible d’aller au-devant d’un malheur et la faim qui le tenaillait entretenaient dans toute sa personne l’espèce de vertige que Rosamonde devait éprouver : elle chancelait sur sa selle.
Aucun bruit, derrière eux, n’indiquait qu’ils étaient suivis de près. Parfois, cependant, brèves et inattendues, des ombres semblaient se mouvoir, s’approcher, hésiter, reculer avant de disparaître. Ogier serra et tapota l’étui contenant son arc, persuadé qu’il allait devoir l’extraire pour préserver sa vie et celle des trois autres. Il préféra croire que ces fantômes étaient engendrés par une imagination malade, encline à tout empirer. Activant son Noiraud, il précéda les autres.
— Courage ! répéta-t-il. Ils sont au moins cinq à notre ressuite.
Il était possible que Franque-Vie et ses satellites eussent perdu leur trace dans la traversée de quelque vallon enténébré, ou qu’ils eussent décidé de s’arrêter en vue, précisément, de ce château dont les contours, enfin, se précisaient. Les chevaux s’étaient remis au pas ; le silence où ils piétaient devenait plus menaçant que le veneur d’Abbeville et ses limiers.
— Ils vont renoncer pour la nuit, dit Saveuse. Nous demanderons au baron qui vit là de remonter son pont.
— Il se peut qu’ils nous aient perdus, dit Barbeyrac.
— Crois-tu ? Ces hommes sont des loups et agissent comme tels.
— J’ai cru dans la journée en voir quatre ou cinq.
— Moi aussi, Étienne, dit Rosamonde. Des routiers, des malandrins… Ils devraient le meurtrir et lui prendre son or !
Pressant derechef leurs chevaux, ils parvinrent devant de hauts murs au faîte desquels rien ne bougeait. Le pont était baissé, les vantaux béaient sur une cour où l’obscurité s’accrochait à des ronces. Les murailles noircies par des feux anciens regardaient les visiteurs de leurs orbites glauques. Un château déserté mais qui les observait ; un château fier, vigoureux. Un être de ténèbres et de pierres blafardes dont le silence était comme un reproche. Il se livrait avec une emphase terrible aux regards des égarés.
— Je n’aime pas, dit Rosamonde.
Passant de la frayeur à la hautaineté, elle considérait ce moribond dont les tours, les courtines, les échauguettes sécrétaient, sous les lueurs blêmes de la lune, quelque chose de rude et de pernicieux. Ogier la vit frémir ; ses frissons se propagèrent sur la robe de sa jument qui, elle aussi, semblait soudainement perplexe et, les naseaux levés bien haut, flairait peut-être un danger plus redoutable que celui que la nuit diluait en arrière.
— On entre plus avant ? insista Rosamonde.
— Je passe le premier, dit Saveuse.
— Comme il vous plaira, messire.
— Nous n’avons pas le choix, dit Barbeyrac. On va…
Il se tut, oppressé, toussotant, serrant les rênes de Bucéphale avec une énergie dont il usait rarement. Il avait perdu son aisance, voire son agressivité. La massiveté des pierres, leur dénuement et leur quiétude singulière offraient à son esprit et ses regards des sujets de méditation et d’étonnement qui excitaient une nervosité dont il n’était point coutumier.
— Ce château paraît mort, murmura Rosamonde.
— Il faut, dit Ogier, visiter la machinerie. Si nous pouvons lever le pont, notre sécurité sera meilleure, sinon, nous devrons veiller toute la nuit… sauf évidemment vous, dame Rosamonde.
Sa voix lui parut désagréable, en accord avec toutes ces pierres : lourde, rugueuse, désolée.
— Tu as raison, dit Barbeyrac.
Les tours portières et la courtine du châtelet d’entrée qui les joignait
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