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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Étienne, regarde ! Et vous aussi, Rosamonde… Voici Josué, le bras et l’épée de Moïse… David, guerrier, chevalier, pénitent et prophète ; Judas Macchabée qui délivra son peuple… Hector, le plus vaillant des Troyens et Alexandre qui ne vit jamais le bout de son empire… César qui fit de Rome un immense pays… Artus le créateur de la Chevalerie, Godefroy de Bouillon, terreur des Mahomets… Charlemagne de France… On dirait qu’ils se sont unis pour nous attendre !
    — Il semblerait, Ogier, que Loïs t’ait donné sa folie… Vaut mieux cela que la peste… Mais tu es dans le vrai : ce sont bien les Neuf Preux.
    Barbeyrac souriait mollement. Il ajouta pour exorciser des craintes inavouables :
    — Si tu crois à leur protection, est-il nécessaire de veiller ?
    Quoique détourné des statues, Ogier se sentit atteint de leurs regards. Elles attendaient sa réponse avec autant d’avidité que Barbeyrac.
    — Oui, je veillerai… Seul… J’ai besoin d’être seul. Mais avant, allons jeter Saveuse aux orties.
    Quand ce fut fait, il revint en hâte au donjon. Le carquois et le long bow de Shirton gisaient sur le pavement. Il les ramassa et partit.
     
    *
     
    Une lune d’opale et des étoiles rares. Affaiblies par des nuages bas et nombreux, leurs clartés n’illuminaient que les merlons des courtines. En deçà du parapet, l’étroit chemin de ronde restait dangereusement obscur. « Je suis vivant… Saveuse a bien failli m’occire ! » Quelque part, un invisible bûcher flambait : la géhenne insatiable de la peste. Le vent, son complice, rabattait des fumées puantes jusqu’au visage d’Ogier dont le regard parfois s’étrécissait lorsqu’il scrutait, à travers la brume de son souffle toujours oppressé, la campagne immobile et transie.
    La froidure l’incommodait. La grenaille tenace et brillante du frimas pénétrait tous ses vêtements. Autour du château sans nom, un silence pareil à ceux de Gratot développait ses mystères et semblait consolider la morne et fallacieuse léthargie des êtres, des arbres, des herbes et des pierres. Maintenant, dans les cités en deuil, grinçaient les essieux des charrettes mortuaires. Sous quels murs avaient-ils entendu, mêlés aux plaintes des manants, des rires et des appels joyeux ?… La peste n’allait pas immoler que des gens. Elle allait putréfier les vertus des survivants, remplacer les devoirs réels par des élans factices, changer les amours vraies en simulacres et substituer à la résignation de mourir une sorte de perversité de vivre. À la corruption des corps correspondrait celle des âmes.
    Et la guerre, dans cette conjoncture ?
    Un mot latin revint en mémoire d’Ogier. Il exprimait ce qu’il redoutait : recrudescere. Cela signifiait devenir plus violent. Moins nombreuses qu’à Crécy, les armées seraient d’autant plus acharnées à s’entre-détruire. Car la peste avait franchi la mer ; son flux mortel devait avoir atteint non seulement Londres, mais aussi Winslow et Bunbury.
    Il se détourna brusquement : on l’observait. Il craignit un moment que ce fut Rosamonde.
    « Non, pas elle… C’est impossible. »
    Quelque courageuse qu’elle fut ou se prétendît, l’éphémère épouse de Franque-Vie n’eût pas eu l’audace de le rejoindre de crainte de trébucher sur le corps de Saveuse.
    Alors qui ?
    Posant son arc et rejetant dans son dos son carquois, il se frotta la poitrine, les bras, les épaules. Le gel se manifestait : ses pieds commençaient à froidir dans ses heuses.
    « J’ai dû rêver. »
    Le malaise éprouvé dans la salle aux Neuf Preux continuait de s’imprimer dans son esprit alors que le regret d’avoir meurtri Saveuse commençait à s’évaporer. Il se demandait quelle nouvelle mésaventure se préparait, à sa seule intention, lorsque quelque chose de blanc ou de gris parut surgir des ténèbres pour les réintégrer si promptement qu’il douta de ce qu’il avait vu.
    « Quelqu’un est bien passé sur ce chemin de ronde ! »
    Loin, certes. Quelqu’un de vivant. Quelqu’un d’autre qu’Étienne et Rosamonde.
    Il demeura immobile, tourné vers ce qu’il pouvait voir du château, méditatif et prudent, furieux de n’entendre que le frémissement des herbes, des rameaux, et parfois les larmes des gargouilles tombant dans les flaques d’eau formées par des pluies anciennes.
    — Je deviens fou ! enragea-t-il à mi-voix.
    La nuit lui paraîtrait sans

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