Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
doute interminable. Ces ténèbres aussi étouffaient Gratot dans leurs gantelets de laine brumeuse. Rien d’autre, bientôt, ne le soucia que la distance qui l’en séparait et cette crainte, née à Calais, d’en franchir le seuil trop tard.
    « Combien de jours, de nuits, de lieues avant le Cotentin ? »
    Il n’y fallait pas songer. Il n’avait point été secoué par une illusion : quelqu’un était venu ; une forme s’était effacée sous ses yeux.
    Il eut hâte, soudain, de voir paraître les premières lueurs de l’aube. Cette vaste demeure tout ensemble tragique et glacée lui paraissait plus inquiétante encore, maintenant qu’il la croyait habitée.
    Il n’osa marcher pour échapper à l’impression tenace, engourdissante, qu’on l’épiait encore. Le vent prenait de l’audace. Il s’immisçait entre les tours portières, glissait sur le tablier du pont-levis, tournoyait dans la cour, ressuscitant plutôt que de les disperser de vieilles odeurs d’étable.
    « Marche !… Marche et tu rompras ce sortilège. Tu verras que tu es seul ! »
    Il tressaillit et jura. Ce n’était qu’un hibou à l’envol floconneux.
    Il se secoua, se frotta les mains, les arrière-bras, les cuisses et fit face à la nuit.
    Loin devant, les ténèbres se blafardaient d’un trait livide. Le vent, qui semblait accourir de par là, gémissait parfois comme s’il s’était brûlé au travers de quelques bûchers. Cette noirceur nocturne et ces plaintes discontinues eussent pu attiser l’inquiétude d’Étienne et de Rosamonde s’ils avaient quitté la grand-salle. Quel en était l’effet sur Franque-Vie et ses hommes ? Et quel était leur nombre, maintenant ?
    « Ils ont été deux, puis trois… Davantage. Sans être cousu d’or, ce drapier a de quoi composer une herpaille [76] . Ils ne vont point s’approcher en tumulte… et il se peut qu’ils soient tout près. »
    Ogier soupira. Il savait ce qui allait se produire. Il percevait la haine de Franque-Vie aussi nette que la détestation qu’il vouait, lui, Argouges, à son épouse. Plutôt que de le vivifier, il éprouvait par tout le corps un sentiment de paresse.
    « Ces malandrins ignorent que nous avons perdu un homme. S’ils sont plus de cinq, ils nous vaincront… À moins que le long bow de Shirton ne fasse un miracle !… Ils s’approchent. Je les sens. »
    Il y avait du chien dans sa nature. Ses yeux fouillèrent le tréfonds de l’obscurité, ses narines humèrent le vent, ses oreilles se firent attentives.
    « Holà ! des bruits menus. Les rats n’y sont pour rien. Ni Étienne ni Rosamonde. Je ne suis plus seul ! »
    Ce ne pouvait être un sicaire de Franque-Vie. Alors qui ?
    — Montrez-vous, murmura-t-il.
    Un petit craquement. Rien d’autre. Était-ce un pied sur une branchette ?
    Il ramassa son arc, encocha une sagette puis, à la réflexion, renonça. Il s’aperçut qu’il tremblait sans que le froid en fut cause : toute l’angoisse de la créature qui l’observait venait de refluer dans son être. Le besoin de parler, de lui parler, picotait sa gorge comme un chardon.
    — Montrez-vous !… Qui êtes-vous ?
    Cette fois, il avait haussé le ton et son gosier semblait égratigné davantage.
    — Cessez d’atermoyer !
    Rien.
    Il se morigéna. Bon sang, avait-il peur ?
    « Piète… Fais le tour de cette enceinte si tu le peux. »
    Marcher n’effaça pas ce sentiment pénible qu’un être vivant s’intéressait à sa personne. On guettait et surveillait ses mouvements, mais à l’inverse de ceux des chevaliers de pierre, les regards qui l’observaient demeuraient sans mauvaiseté.
    Un bruit ténu aiguisa son attention. Des pas. Des semelles légères.
    — Holà ! dit-il à mi-voix. Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ?
    Accoutumées à la pénombre, ses prunelles voyaient distinctement le château, ses logis, la chapelle menue ; le donjon dont la proéminence noire se perdait dans les vapeurs du ciel. Une petite blancheur frémissait à l’angle d’une des tours portières.
    — Attendez !… Qui êtes-vous ?… Je ne suis pas enfantômé [77] comme vous le croyez peut-être !
    Au risque de tomber et de rompre son arc, il descendit vivement l’étroit escalier par lequel, de la tour, on accédait au chemin de ronde. Plus rien ne l’attendait ou semblait l’avoir attendu.
    Il leva la tête. Une femme, – une jouvencelle sans doute –, le considérait de l’encoignure d’une baie

Weitere Kostenlose Bücher