L'épervier de feu
séparèrent du groupe immobile. Chacun tenait un grappin attaché à un rouleau de corde. Ils le lancèrent en même temps.
Les dents crochues mordirent le tablier du pont-levis. Les hommes tirèrent sur le chanvre afin d’assurer leur prise et se laissèrent glisser dans le fossé pour réapparaître ensuite, grimpant avec la vigueur et la vivacité des singes.
Le long bow de Shirton était déjà bandé, une sagette encochée.
Le trait partit. L’homme transpercé poussa un cri et tomba dans le vide. À peine avait-il chu que son compère le rejoignait, mort sans doute.
Il y eut des murmures et les fantômes noirs disparurent.
II
— J’ai dormi, dit Étienne en bâillant dans ses mains. Moult dormi, en vérité !
— Je ne t’en fais point reproche.
— J’aurais dû venir te remplacer.
— Ce sera pour une autre nuit.
La confiance avait reparu dans le regard d’Étienne. Pour combien de temps ?
— Elle dort encore, dit-il.
Le souvenir de Rosamonde afflua sur Ogier. Sans elle, ils n’eussent pas cherché refuge en ce château ; Franque-Vie ne les eût pas pourchassés ; Saveuse, peut-être, fût demeuré vivant.
— Tu vas devoir, compère, éveiller la dormeuse. Il nous faut quitter ces murailles : elles empunaisent la mort.
Une clarté brumeuse, frileuse, montait du sol avec les vapeurs de l’aurore. Sur sa meule vermeille, le soleil semblait affûter la flèche d’un clocher près duquel une fumée venait d’éclore.
— Il nous faudra contourner ce hameau. La peste nous a devancés. Ce qu’on y voit brûler n’est pas de la fournache [80] .
— Oui, Étienne. Tourne-toi de ce côté. Une autre mort nous attend.
À cent toises, face au pont-levis, Franque-Vie et ses mercenaires, tous à pied, se préparaient pour un assaut.
— Regarde !… Trois portent une épée, trois un arc et deux une arbalète.
— Et Franque-Vie se prend pour un dixième Preux !
L’époux de Rosamonde était armé d’un branc [81] dont le pommeau dépassait son épaule.
— Regarde en bas, Étienne, ces deux corps. Je les ai percés aisément.
Barbeyrac se pencha et se releva, éberlué :
— Par le sel de mon baptême, tu n’as rien perdu de ton coup d’œil !
— Ces bateleurs avaient jeté leur hérisson sur le devant du pont… J’ai deux sagettes en moins dans ce carquois. Il m’en reste dix. C’est maigre. Je peux maintenant, d’entre ces deux merlons, atteindre un homme. Les autres disparaîtront et prendront l’aguet pour nous assaillir cette nuit. Or, nous ne pouvons séjourner dans ce tombeau de pierre au-delà de la matinée.
— Même si nous lui abandonnions Rosamonde, ce hutin ne cesserait de vouloir se venger. Loïs va nous manquer. Nous ne pouvons espérer aucune aide.
Ogier soupira en se remémorant la blondeur et la voix de la jeune inconnue. Au cours de leur bref et stérile entretien, il avait oublié tout ce que sa condition avait de précaire. Maintenant, sous l’effet du danger, cette singulière rencontre se désaffublait de tous ses sortilèges.
— Il nous faut forcer le passage.
— Comment, Étienne ? Deux arbalètes, trois arcs. Leurs traits s’abattront sur nous comme une pluie.
— Ils n’ont peut-être pas ton habileté.
— Alors, je crains qu’ils ne s’en prennent aux chevaux… Leur mort précéderait la nôtre. Je n’ose imaginer le sort de Rosamonde… ou plutôt si !
Barbeyrac heurta ses poings l’un contre l’autre. Il commençait à se courroucer.
— Il faut sortir, Ogier… Sortir avec nos chevaux. Nous ne pouvons négocier avec ces gens la restitution de Rosamonde et nous ne pouvons demeurer à la merci de toutes ces pestilences.
Ils marchèrent sur le chemin de ronde, Ogier devant, Étienne à peine en retrait. Sitôt près de l’étroite courtine réservée à la machinerie, Ogier regarda, dans la boue du fossé, les hommes dont il avait interrompu l’ascension. L’un gisait sur le dos et l’autre sur le ventre.
— Deux jeunes affamés de pain autant que d’or.
— Tu ne vas pas t’apitoyer !
— Non. Je rends grâce à Shirton. Sans les leçons qu’il m’a données, ces deux malandrins seraient parvenus à rabattre le pont. Franque-Vie aurait perdu des mercenaires. Nous serions morts… Pourtant, il conviendra d’abaisser ce pont.
— Quoi ? rugit Étienne, ahuri.
Une montée de sang empourprait son visage. La signification de ce qu’il entendait prenait dans son esprit des
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