Les 186 marches
industrie lourde, non atteinte encore par les effets de la guerre totale, travaillait à plein rendement. Nous planions encore dans les hauteurs embrumées du succès et les grands chefs nazis croyaient la victoire en vue. Pour moi, je me sentais à un tournant de l’histoire. Je me rendais compte que la « victoire totale », ou, nouvelle version, la « victoire finale » n’était plus possible. Dès lors, le problème se posait pour moi de savoir comment mettre nos dirigeants au courant de ces faits pénibles, alors qu’ils se refusaient péremptoirement à en envisager même la possibilité.
– Mon travail m’avait mis en face de la réalité : nos grands chefs n’avaient aucune réelle compréhension de ce qui se passait à l’extérieur. Leurs petites vues politiques personnelles et étroites déterminaient tous leurs actes. Le ministère des Affaires étrangères ne faisait rien pour remédier à cette situation. Il y avait, peut-être, dans ce ministère des gens qui partageaient mon opinion, mais ils n’avaient aucune influence au point de vue politique. Aucun d’entre eux ne désirait passer de la simple reconnaissance des faits à l’inévitable conclusion : l’impossibilité de la victoire finale ! Et encore bien moins soutenir cette opinion en présence de leurs supérieurs.
– Je commençais à réfléchir sérieusement à la question et j’en arrivai à la conclusion suivante : tant que le Reich serait capable de se battre, il serait aussi en mesure de négocier. A vrai dire, il était temps encore d’obtenir un compromis avec nos ennemis, mais il fallait envisager la chose froidement, calculer comme un courtier : plutôt perdre 50 % que de faire faillite et de ne rien avoir du tout !
Walter Schellenberg « n’a que Himmler sous la main ». Hitler et Ribbentrop, partisans de la guerre totale, pour obtenir la victoire totale, n’acceptent aucune discussion. Le tête à tête Himmler-Schellenberg va se prolonger quatorze heures ce 16 août 1942, à Jitomir en Ukraine. Au début, Himmler s’emporte, menace même :
– Seriez-vous devenu fou ? Vous travaillez trop. Voulez-vous cinq semaines de vacances ? Vous perdez les pédales ! Et d’ailleurs, comment osez-vous me parler ainsi ?
Il est vrai que Schellenberg, après les circonlocutions d’usage, est allé droit au but :
– Monsieur le Reichsführer, dans quel tiroir de votre bureau avez-vous rangé l’« autre solution » pour la fin de cette guerre ?
Le ver est dans le fruit. Himmler, inconditionnel parmi les inconditionnels, mais pragmatique, laissera agir Schellenberg, « sans le couvrir », si les « touches de paix sont connues ». Schellenberg établit le contact avec un fonctionnaire britannique résidant à Zurich. Les entretiens préliminaires reçoivent l’autorisation de Churchill… et Himmler, tenu au courant, soudain effrayé par son audace, transmet le dossier à Ribbentrop qui se précipite chez Hitler. Le lendemain, Schellenberg trouve sur son bureau une note du ministre des Affaires étrangères :
– J’interdis à la section politique des services secrets d’entrer, dans ce but, en contact avec des nationaux ennemis. Je considère cela comme du défaitisme qui, à partir de maintenant, sera sévèrement châtié. D’autre part, si jamais un Anglais quelconque désire entrer en conversation avec nous, qu’il nous apporte tout d’abord la déclaration de reddition de son pays.
★ ★
A cette même époque, les Espagnols de Mauthausen ont déjà mis sur pied leurs comités de Résistance. La solidarité du groupe, son adaptation courageuse à la situation présente, son esprit de « survie » en font un « monde à part » dont, déportés et S. S. reconnaissent la réalité et l’efficacité. Les bases « administratives et politiques » de cette unité ont été lancées le 21 juin 1941. Ce jour-là, tout le camp a été vidé et rassemblé dans la grande cour des garages. Des milliers d’hommes nus ont attendu toute la journée que les spécialistes de la désinfection exterminent poux et lentes des blocks et des vêtements.
– Ce rassemblement du 21 juin 1941 fut une aubaine à cause de sa durée même. Il nous fallait en effet de longs et complets échanges de vue pour faire le point sur notre situation et pour arrêter les décisions nécessaires. Il fut ainsi décidé de nommer une direction politique qui centraliserait et dirigerait toutes nos
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