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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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pour y parvenir, user de ruses quotidiennement renouvelées ; plus d’une fois, je me suis cru sur le point d’être pris. Mais à voir la joie de mes camarades lorsque j’arrivais à leurs sordides blocks de quarantaine, je me sentais « regonflé » en vue de l’expédition du lendemain.
    – « Organiser » de la soupe n’était pas très difficile : « organiser » du pain l’était bien davantage. Ce pain, mauvais dès 1944, mais dont la qualité ne cessa de décliner à mesure qu’approchait la défaite nazie, était fabriqué tout spécialement pour nous ; il avait la forme allongée du pain anglais ; nous n’avons jamais su de quels ingrédients il pouvait être fait. Des camions militaires l’apportaient au magasin, situé entre la première et la seconde enceinte ; de là, il était transporté à l’intérieur de la première enceinte, dans une charrette à quatre roues, sorte de voiture à gerbes ; la manutention était effectuée par le Müllabfuhr kommando qui servait aussi d’attelage à la charrette. Nous avions deux camarades dans cette équipé, Olivier et Salado. A eux seuls, il était possible d’« organiser » du pain pour ravitailler le « collectif » français avant que la distribution fût faite aux blocks, c’est-à-dire sans risque de léser le ravitaillement normal des internés. Ils assurèrent pendant dix mois cette importante et périlleuse tâche. Lorsqu’ils étaient appelés à décharger un camion ou à charger une voiture, ils ôtaient leur veston puis, au cours de l’opération, glissaient dans chacune des manches un pain ; le travail terminé, ils rentraient à leur block, le veston sous le bras ; l’hiver c’était le manteau qui servait de cachette.
    – Georges Rondot, responsable de la solidarité, répartissait le produit de cette « organisation » entre les « familles ». Le tour de chacune revenait plus ou moins fréquemment ; en certaines périodes – lorsqu’il y avait dicke Luft, par exemple – il était à peu près impossible d’« organiser », tant se faisaient dures la discipline et la surveillance ; au contraire, un accroissement subit des effectifs du camp motivait de plus nombreuses manipulations de pain ; certains jours, les manches des vestons d’Olivier et de Salado servirent trois ou quatre fois.
    – Nous adoptâmes, d’autre part, une forme d’entraide que pratiquaient entre eux, depuis longtemps, les communistes. Chaque Français fut invité à donner, une fois la semaine, une tranche de pain pour nos compatriotes malades qui, au Krankenlager, étaient encore plus démunis que nous. Ce pain était collecté par les responsables de blocks et remis au docteur Fichez qui pouvait ainsi en descendre chaque semaine plusieurs kilos dans un petit sac. Une seule fois, le sous-officier qui commandait le poste de garde du Krankenlager s’enquit du contenu de ce sac. Quand Fichez lui eut déclaré : « C’est du pain que nous avons collecté pour nos camarades malades », il se montra surpris, réfléchit un instant, puis marmonna : « C’est évidemment très bien. » Je dois dire que ce S. S., appelé par nous Fernandel, devait ce surnom autant qu’à sa ressemblance physique, à sa relative débonnaireté.
    – Lorsque Emile Valley fut affecté à la cuisine, il put « organiser » du suif, très utile complément à notre alimentation dépourvue, ou peu s’en faut, de matière grasse. Avec l’aide de camarades espagnols et tchèques, nous pûmes même, à deux ou trois reprises, avoir du sucre cristallisé ; chaque Français en reçut, en l’espace de dix mois, trois ou quatre cuillerées à soupe. D’autres compatriotes, qui épluchaient les pommes de terre pour la cuisine des S. S., réussirent fréquemment à en détourner au profit de notre « collectif » ; ils les glissaient dans les jambes de leur pantalon, fermées en bas par une épingle – ce qui leur donnait, lorsqu’ils sortaient de leur cave, une démarche toute particulière.
    – A côté de ces prélèvements effectués directement sur les stocks des magasins, il y avait des possibilités d’échange. Un utile instrument de ce troc nous était fourni par les cigarettes que touchaient, en guise de salaire – ô dérision ! – les travailleurs de certains kommandos : parfois cinq ou dix cigarettes par semaine. A ceux-là, il était demandé d’en céder une faible partie (une cigarette sur dix, si j’ai bonne

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