Les 186 marches
mémoire) au « collectif », afin de permettre des échanges avec certains internés qui, grâce à de nombreux colis familiaux, avaient des vivres en excédent.
– Au début de 1945, lorsque je fus versé au kommando de l’Unterkunftverwaltung, j’y pus « organiser » les objets les plus divers. On y trouvait, en effet, tout le matériel destiné tant au camp qu’aux cantonnements des S. S. et, de plus, des milliers de rasoirs, de couteaux, de peignes et de miroirs de poche provenant des bagages des nouveaux arrivants. J’y ai vu aussi, méthodiquement rassemblés et rangés, les produits des vols individuels commis par les troupes nazies dans les pays occupés : notamment une collection d’essuie-mains portant les marques d’hôtels de Hongrie et de Pologne, de France et de Belgique…
– Dans ce kommando, où je travaillai sept semaines, j’« organisai » des rasoirs, du savon de toilette et du savon à barbe, des cuirs de rasoirs, du cuir en feuilles, etc. ; le tout destiné soit à des camarades français, soit à certains coiffeurs de blocks que nous connaissions (des Espagnols notamment) et qui, en échange, nous donnaient des vivres. J’eus aussi la possibilité de fournir à nos camarades des gamelles portatives, du type utilisé dans l’armée française. Ces gamelles, munies d’un couvercle et d’une anse, permettaient de cacher bien des choses lorsqu’on rentrait, le soir, dans l’enceinte centrale. Elles étaient, pour cette raison, fort recherchées. Celles que nous avions en stock à l’Unterkunftverwaltung, pour les troupes de garnison, étaient peintes en vert-marron et, de ce chef, aisément reconnaissables. Je les jetais quelques ins-tants dans un poêle allumé ; il suffisait ensuite, pour faire tomber la peinture ainsi brûlée, de frotter fort avec un chiffon humide ; l’aluminium restait alors nu et la gamelle cessait d’être compromettante.
– Ceux qui n’ont pas été au régime de Mauthausen tiendront peut-être pour négligeable une aide qui ne consistait qu’en un litre de pauvre soupe, un morceau de pain de temps en temps ou quelques pommes de terre. Les anciens déportés savent, au contraire, quelle fut l’efficacité du moindre supplément alimentaire venant s’ajouter aux rations normales. Que des hommes aient pu vivre avec si peu de nourriture, à seule condition de n’être pas malades et d’avoir bon moral, nous-mêmes avons peine à le concevoir aujourd’hui, qui en avons pourtant fait l’expérience.
– Dans les conditions où vivaient à Mauthausen les Häftlinge, la solidarité vestimentaire le cédait à peine, en importance, à la solidarité alimentaire. Lorsque l’on sortait de quarantaine pour entrer dans un kommando de travail, on se voyait attribuer un veston et un pantalon, une paire de chaussettes et une paire de galoches faites de toile et de bois ; le tout était minable ; tailles et pointures n’étaient presque jamais celles qu’il eût fallu. Quant au linge, chemise et caleçon étaient changés tous les deux, trois ou même quatre semaines. Dans certains kommandos extérieurs particulièrement démunis, les détenus portèrent chemises et caleçons jusqu’à destruction complète. J’ai vu, lorsque je travaillais à la Wäscherei, arriver des pièces qui tombaient littéralement en pourriture ; inutile d’ajouter que la vermine y grouillait. Cette saleté, autant que la faim, le froid et les coups, rongeait le moral et tuait les hommes. L’hiver, à Mauthausen, était extrêmement dur. De décembre 1944 à la mi-février 1945, les minima quotidiens de température restèrent inférieurs à – 10°; ils atteignirent plus d’une fois – 20°. Dans certains kommandos qui travaillaient dehors, les hommes reçurent des gilets de laine ou des manteaux, voire des protège-oreilles. Mais là encore, la distribution fut insuffisante en quantité et en qualité.
– Relative propreté du linge, protection contre le froid ne furent pas, les seuls objectifs qu’il nous fallait atteindre pour protéger nos camarades. Nous comprîmes très vite que , pour subsister dans ce monde étrange, les Français devaient être vêtus et chaussés de façon aussi correcte que possible. Dès mon séjour en quarantaine, j’avais noté que nos gardes-chiourmes témoignaient aux travailleurs du camp libre une considération strictement proportionnée à l’élégance de ceux-ci. Pour obtenir un vêtement correct, il fallait
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