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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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DE LA RÉPUBLIQUE
    Jusqu’au mois d’août 1940, les déportés de droit commun allemands et autrichiens, porteurs du Triangle vert, sont les véritables maîtres du camp. Les quelques rares politiques « aryens » ont courbé l’échiné… ou sont morts et ce ne sont pas les nationaux isolés ou les membres de l’impressionnante colonie polonaise (raflés pour la simple raison qu’ils étaient Polonais) qui peuvent prétendre occuper un poste de responsabilité – donc de protection pour les autres sociétaires du collectif. Mais un événement unique dans l’histoire des camps de concentration va se produire à Mauthausen. La forteresse – parce qu’elle est de catégorie III (Classification des camps « compte tenu de la personnalité du prisonnier et du degré de péril qu’il représente pour l’État ». Mauthausen était donc répertorié dans la pire des catégories alors que Buchenwald ne sera classé que dans l’échelle II et Dachau dans la I.) – accueillera tous les Républicains espagnols, les Rotspanier (les rouges espagnols) à qui, par dérision, on imposera le port du Triangle bleu. Erreur monumentale des stratèges de l’Inspection générale des, camps : les Espagnols, seul groupe véritablement cohérent parce qu’uni par un même combat antifasciste, arriveront, non seulement à ne pas tous mourir, mais encore à inventer la solidarité, la résistance et à occuper des rouages vitaux de la direction prisonnière. Ils seront aidés dans leur entreprise par les nouveaux arrivants tchèques, puis français et, peu à peu, les Espagnols bleus et les politiques rouges briseront la toute-puissance des criminels verts.
    Qui sont-ils ces milliers d’Espagnols qui déferlent sur la place d’appel ? Soldats de la République, ils ont franchi la frontière française dès février 1939, après la chute de la Catalogne. Ils espèrent « refaire leurs forces », se regrouper, s’entraîner, repartir « de l’autre côté » des Pyrénées où de sérieuses poches de résistance persistent. Ils sont arrivés avec armes et bagages et ce beau matériel pourrit sur les pentes enneigées des cols ou les plages humides de la Méditerranée… Et eux, les servants vaincus doivent s’entasser dans des camps de « transit » improvisés où l’on meurt littéralement de faim et de froid, ou de dysenterie. Les plus forts et les plus déterminés essaient de reconstruire une hiérarchie militaire ou politique… mais beaucoup, la plupart, anéantis par la défaite, renoncent. L’histoire de ces camps de concentration français : Le Vernet d’Ariège, Saint-Cyprien, Barcarès, Argelès, Gurs, Septfons n’a jamais été écrite… et c’est regrettable.
    Puis, volontaires ou non, les Républicains espagnols se retrouveront enrôlés dans les compagnies de travail ou les bataillons de marche des volontaires étrangers… Le raz de marée de l’armée allemande les roulera dans les camps de prisonniers où les fonctionnaires de la Gestapo n’auront guère de difficultés pour les regrouper et les diriger sur Mauthausen.
    Les deux premiers convois arrivent les 6 et 9 août 1940. Curieusement, les colonnes « visitent » d’abord la carrière :
    – A dix heures du matin, nous débouchions dans la carrière de granit où la colonne fit une courte halte. Le bruit était infernal : un énorme compresseur alimentait des marteaux-piqueurs auxquels étaient attachés des hommes vêtus d’un pyjama rayé et une quantité de petits marteaux qui perforaient la roche. C’était une fourmilière humaine où des hommes transportaient continuellement de grosses pierres sur leur épaule ou, par équipes de quatre, sur des sortes de civières en planches.
    – Pendant que nous les regardions, une de ces équipes reçut une volée de coups de bâton d’un kapo ; un des hommes trébucha et les autres réussirent à se maintenir en équilibre ; un S. S. leur fit un croche-pied, voilà les quatre hommes à terre, la pierre tomba sur eux et les blessa ; les violences redoublent et, couverts de sang, à grand-peine, ils rechargent la pierre et repartent.
    – Nous étions médusés. C’est un bagne, nous disions-nous, comme dans un film d’épouvante ; il est impossible qu’on nous garde ici, nous sommes des soldats et pas des criminels. On nous forma par rangs de cinq et nous montâmes les 186 Marches qui menaient au camp. Nous croisions des hommes qui portaient des pierres et qui

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