Les 186 marches
amis, je fus incarcéré dans une des salles d’étude du collège Kaunicovy qui avait été transformé en prison et centre d’exécution. Le 3 février 1941, on nous dirigea sur Mauthausen.
– De la gare, on nous chassa comme un troupeau jusqu’à cette forteresse aux épaisses murailles rappelant les remparts moyenâgeux des villes castillanes. On nous forçait à accélérer l’allure à coups de crosse. On nous frappa en arrivant au portail, avant la douche. Les Juifs furent tués sur place.
– Dépouillés, le crâne rasé, désinfectés, on nous laissa – après une douche chaude – au garde-à-vous dans la neige. La plupart d’entre nous devaient rester cinq heures dans cette position par un froid de 15°au-dessous de zéro. Il y eut beaucoup de morts pendant cette attente. « Monsieur le Schlutzlagerführer Bachmayer » accueillit en personne cette « bande universitaire tchèque » et nous tourmenta de son mieux. A coups de fouet, il mit quelques figures en sang puis, faisant sortir les officiers des rangs, il lâcha ses chiens contre eux. Une autre meute de chiens… à forme humaine cette fois, vêtus de l’uniforme des S. S. et des criminels professionnels, se jeta sur le reste. Des ruisseaux de sang commencèrent à couler et, par la suite, coulèrent chaque jour sans interruption. Bachmayer nous assura que personne n’était encore sorti vivant de Mauthausen et qu’il ne nous restait que la cheminée du crématoire comme moyen d’évasion, et que nous ferions mieux d’aller sur-le-champ nous jeter dans les fils électrifiés pour en finir. Ces paroles consolatrices nous furent répétées plus tard par tous les blockführers et la majorité des anciens prisonniers attestait leur affreuse véracité. Autrement, paraît-il, nous allions en voir encore d’autres avant de crever (ihr werdet noch was erleben bevor ihr krepiert) – car dans ce camp, les Tchèques étaient placés au même rang que les Juifs. Aussitôt après on écrasa à coups de pied les parties génitales d’un Juif, employé des chemins de fer à Nové Mesto na Morave, qui était arrivé avec nous ; un autre fut défiguré de telle sorte qu’après le « baptême » nous ne pûmes le reconnaître. Après leur avoir brisé les côtes à grands coups de pied, pris de démence, ils frappèrent les corps ensanglantés. Ce furent nos premières impressions, fortes et inattendues. J’ôtai mes lunettes car ceux qui en avaient étaient considérés comme faisant partie de la classe cultivée et à Mauthausen on cherchait à l’exterminer par tous les moyens.
– Le système était raffiné et la Gestapo savait parfaitement où elle nous envoyait. Les criminels professionnels (les triangles verts), non seulement nous maltraitaient inhumainement mais encore nous volaient nos modestes rations de vivres, même les quelques cigarettes que nous pouvions échanger. Une fois nous reçûmes dix sachets de poudre dentifrice, nous étions tellement affamés que nous la mangeâmes. Elle avait eu au moins l’avantage de mettre fin aux diarrhées. Nous portions en sautoir les plaques sur lesquelles étaient inscrits nos numéros. Quand la mortalité s’accrut, les numéros furent marqués sur la poitrine au moyen d’un crayon à l’aniline.
– Dans ce camp, il y avait toujours une nationalité en disgrâce – une sorte de classe de parias. A l’époque dont je parle, cette populace ce fut nous, les Tchèques. Tous les avantages du camp nous étaient refusés, souvent nous avions moins de soupe et des portions plus petites que les autres. Une scène de la carrière me revient à l’esprit ; on nous avait appelés pour distribuer un supplément de potage le « Nachschlag ». Quand nous nous fûmes mis en rangs, les kapos nous dispersèrent à coups de bâton et notre place fut prise par des Allemands. Nous étions pour la plupart isolés au block 13, où les détenus mouraient journellement par vingtaines. Les Tchèques qui nous avaient précédés (des prisonniers politiques de Térézine) avaient été exterminés de la façon la plus odieuse. Ils avaient été gazés, mis à mort au moyen d’injections, fusillés, pendus, tués au cours de kommandos, surtout à la carrière, sur le « strassenbau 2 » ou bien morts de faim.
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– Il était bien connu que le peuple tchèque possédait un degré d’instruction au-dessus de la moyenne des autres pays, et cela les nazis ne le leur pardonnaient pas.
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