Les 186 marches
Sahaneck
– le géographe et le mathématicien – de notre météorologue Hrudicka. Quant au célèbre philosophe Turdy, élève de Masaryk, il fut jeté dans un bassin d’eau alors qu’il gelait à pierre fendre. Les mots manquent pour décrire les circonstances effroyables dans lesquelles moururent à Mauthausen l’intelligence tchèque et les simples gars de chez nous. Dans ces premières semaines, ne survécurent de notre transport que les professeurs Busek, Podlaha, Tomasek et les docteurs Silhan, Havlik et Habrina. Une partie de notre groupe avait été enfermée au bunker le jour de notre arrivée. Parmi eux les journalistes Justik et Merka. Ils furent exécutés le 7 mai.
– Je fus affecté au kommando de la carrière. J’avais fait beaucoup de sport avant mon arrestation… Il en restait quelques traces. Le plus important était de travailler des yeux et, dans les moments où personne ne vous regardait, de reprendre son souffle. Mais la situation m’était défavorable. Je ne voyais pas bien sans lunettes et les mettre équivalait à se faire tuer. Quand je sentis que l’eau, dans les jambes raidies et lourdes, m’empêchait de continuer à monter les 186 Marches abruptes de la carrière, je me laissai tomber une pierre sur la jambe. Grâce à Dieu, j’eus de la chance. Je faillis mourir d’hémorragie mais toutefois je réussis de la sorte à me faire conduire et opérer à l’hôpital. Tout d’abord, cela va sans dire, on me menaça de me fusiller et de me fourrer en prison pour sabotage. N’étant pas encore complètement guéri, après une quinzaine de jours, on me mit à la porte de l’hôpital. De retour au travail, j’eus peine à reconnaître mon block à tel point le monde avait changé durant ma courte absence. Beaucoup de camarades étaient morts, d’autres avaient tellement maigri qu’on ne pouvait plus les reconnaître. Notre block était le pire du camp. C’était vraiment un block maudit. Le scélérat « vert » Acker rouait ses victimes de coups de poing, de coups de pied et les foulait aux pieds. Quand il ouvrait la porte du dortoir tout le monde tremblait. A peine nous étions-nous assoupis qu’il commençait à siffler pour le « Zählappel » et rouait de coups sans aucune distinction tous ceux qui n’avaient pas sauté assez vite à bas de leur lit. Au beau milieu de la nuit, parfois vers le matin, nous étions réveillés par les Blockführers ivres, revenant d’orgies à Linz ; une fois même, Bachmayer entra en personne. Ils lâchaient leurs chiens contre nous et sautaient comme des insensés, chaussés de lourdes bottes ferrées, sur nos corps qui gisaient à terre tout en accompagnant ce trépignement d’injures comme « tschechische Drechsäcke, Sautschechen », etc. Avec le personnel du block, ils nous frappaient à tour de bras avec leurs matraques de caoutchouc, leurs crosses et leurs fouets. Les suites étaient terribles et il y avait à nouveau du sang partout. Ayant au cou une furonculose que j’avais attrapée entre-temps, je descendis à nouveau dans la carrière infernale. Il est presque impossible de décrire fidèlement une journée dans la carrière. Le « treize » d’ordinaire fermait le convoi. Sur les marches, les blockführers commençaient à frapper avec violence les dernières rangées. Ces rangées, cherchant à éviter les coups, bousculaient les rangées précédentes et toute la centaine glissait dans la carrière sur un monceau de corps. Les kapos faisaient pleuvoir une grêle de coups de bâton sur le tas. On travaillait dans la carrière en sabots, nous les perdions d’ordinaire au cours du travail et étions forcés de travailler toute la journée nu-pieds. Nous les Tchèques et puis les Juifs devions faire les travaux les plus durs dans le Sonderkommando près du moulin où l’on broyait la pierre, et à la tête duquel se trouvait le kapo Ragel. Mais même chez Ritter, Willi, Steen ou Berti, cela n’allait pas mieux. C’était un combat terrible pour la sauvegarde de la vie. En été, nous étions sur pied près de 16 heures ; nous travaillions de dix à douze heures par jour. Le reste du temps, nous le passions debout durant les appels. Le soir, on faisait V « exercice ». Brisés de fatigue, nous nous couchions. Tard dans la nuit, on entendait la musique des haut-parleurs. (Cette musique contrastait étrangement avec l’horreur de la vie du camp.) L’odeur douceâtre, répugnante, des cadavres et les
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