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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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tombait encore, moins ténue cependant ; les nuages étaient plus hauts dans le ciel, plus clairs aussi. Peut-être aurions-nous la chance de ne pas être mouillés toute la journée. Negro s’était réfugié dans sa baraque de kapo au centre du kommando. Il y avait allumé du feu ; la fumée sortait par le tuyau à travers l’un des murs de planches. Chaque jour, pendant une ou deux heures après le repas de midi, il se camouflait ainsi dans sa niche, pour y digérer les deux ou trois litres de soupe qu’il venait de manger et pour y faire griller quelques tartines de pain. Il postait un jeune Russe de dix-sept ans, son petit ami, en surveillance le long du chemin que prenait le kommandoführer pour venir inspecter le chantier. Il était ainsi averti de l’arrivée de ce dernier et pouvait faire la sieste sur un lit qu’il s’était aménagé à cet usage. C’était une très sérieuse affaire pour nous. Pendant deux heures, nous échappions à sa surveillance ; ce qui nous permettait de nous reposer.
    – Ce jour-là, nous goûtâmes cette tranquillité relative avec plus de satisfaction encore que les jours précédents. Nos vêtements trempés rendaient douloureux chacun de nos mouvements. Nos jambes de pantalon étaient lourdes d’eau, chaque geste faisait ruisseler un filet sur notre corps. A 4 heures le soleil se montra, un soleil timide que les nuages voilaient encore par instant. A chacune de ses apparitions nos vêtements se mettaient à fumer. Mais il était trop tard. Nous n’aurions pas le temps de nous sécher avant l’heure de la rentrée dans les blocks. Il nous faudrait tordre nos vêtements, nos chemises, nos caleçons, dans les lavabos, afin d’en extraire le plus d’eau possible. Il nous faudrait nous coucher tout trempés. Comme nous dormions serrés les uns contre les autres, nos chemises et nos caleçons pourraient sécher en partie, ce ne serait pas le cas de nos pantalons et de nos vestes ; même en les étalant bien à plat sur nos couvertures, il nous faudrait, le lendemain, les remettre tout raidis et glacés. Plus que celle des vêtements, la question des souliers nous était angoissante. L’étoffe de la tige ne pouvait résister aux efforts, aux marches qui nous étaient imposées. Au bout d’une semaine, elles étaient déchirées de partout. Par temps de pluie, elles pourrissaient et s’en allaient en lambeaux. Il était bien difficile de s’en procurer une nouvelle paire ; c’était surtout bien audacieux. Le chef de block chargé de la distribution trouvait toujours les anciennes en assez bon état pour que nous puissions les réparer et il ponctuait ses affirmations de deux ou trois coups de matraque. Lui était toujours chaussé d’impeccables souliers provenant du pillage des colis des arrivants. Il nous fallait rafistoler tant bien que mal nos malheureuses galoches, en fixant les semelles à nos pieds avec de vieux morceaux d’étoffe. Elles ne tenaient guère ainsi, et nous obligeaient à des contorsions qui ajoutaient à notre fatigue.
    – Mal nourris, mal vêtus, toujours soumis à un travail intensif et par tous les temps, il fallait une carcasse solide et un moral bien accroché pour résister. La moindre faiblesse organique était mortelle. Il fallait être à l’âge dé la plus grande force physique. Les hommes n’ayant pas atteint vingt-cinq ans avaient de la peine à tenir. Ceux qui avaient dépassé la cinquantaine mouraient presque tous. Le meilleur âge était entre vingt-cinq et quarante ans. Au block 16 où les morts ne devaient pas être remplacés, on s’apercevait davantage de leur disparition que dans les « blocks libres » où les nouveaux arrivants bouchaient les vides.
    – Les détenus employés à la carrière avaient la satisfaction de ne pas travailler du samedi midi au lundi matin. Au début, nous considérions ce fait comme un sérieux avantage. Nous comprîmes bientôt qu’il faisait partie du plan d’extermination progressif des individus. Nous étions là pour mourir ; pas trop vite cependant. Il nous fallait déchoir lentement, perdre peu à peu toute dignité physique. Le moral baissait à son tour chez ceux qui/n’avaient pas une volonté perpétuellement tendue. C’était l’aboutissement méthodique, l’inconscience, la mort. Sans le repos hebdomadaire, nous aurions péri trop rapidement. Nous n’aurions pas subi assez de misères.
    – Le samedi, à midi, la sirène de la carrière annonçait donc

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