Les 186 marches
repos d’une minute. Nous avions admis comme nécessité vitale qu’être assis valait mieux que d’être debout, et qu’être allongé valait mieux qu’être assis.
– Il nous arrivait de nous endormir le samedi après-midi ; ce n’était pas des sommeils de longue durée. Le block-friseur (Le block-friseur (coiffeur du block) veillait à ce que les détenus soient rasés, qu’ils aient les cheveux coupés réglementairement. Il présidait au Lausekontrol (contrôle des poux). Dans la hiérarchie du personnel des blocks, il tenait le troisième rang, après le chef de block et le secrétaire) nous réveillait pour nous faire raser et nous couper les cheveux. Ce travail était effectué par une dizaine de camarades français, yougoslaves oi tchèques, en échange d’une soupe supplémentaire qui leur était versée à la fin de la journée. Les rasoirs utilisés ne coupaient pas. Comme nous avions des barbes de huit jours, nous passions quelques minutes assez douloureuses. Les tondeuses n’étaient pas en bien meilleur état et nous arrachaient les cheveux. Nous devions être tondus à ras tous les deux mois. Dans l’intervalle, chaque semaine, on nous faisait au milieu de la tête, du front jusqu’à la nuque, une raie de la largeur de la tondeuse et que nous baptisions V « autostrade ».
– Une fois tous les détenus du block tondus et rasés, la visite des poux commençait. Le block-friseur s’asseyait sur un tabouret. Devant lui était placé un autre tabouret sur lequel il nous fallait monter à la suite les uns des autres après nous être entièrement déshabillés. Le block-friseur nous examinait à loisir jusque dans les endroits les plus intimes. Pendant cette inspection, deux détenus allemands, assis de chaque côté du block-friseur examinaient l’un notre chemise, l’autre notre caleçon. La découverte d’un pou sur un détenu pouvait avoir des conséquences désastreuses. Une affiche placardée à l’entrée des blocks avertissait du danger. Elle portait ces mots : « Un pou… Ta mort. » Dans un angle était dessiné un gigantesque pou ; dans l’angle opposé une tête de mort. Un détenu sur lequel on avait trouvé un pou était soumis à un régime différent suivant les saisons. En été, il devait subir dans les lavabos une douche qui durait plus d’une heure au gré du chef de block. L’eau utilisée captée dans les montagnes était glaciale ; une douche prolongée pouvait entraîner la mort. L’hiver, le détenu était mis dehors, entièrement nu ; un pou ne résiste pas à un froid de – 25°; un homme a de sérieuses chances d’en faire autant.
– Le dimanche matin, la cloche sonnait une heure plus tard que les autres jours. Nous étions tous réveillés car nous avions l’habitude de nous lever avant l’aube. Tout était silencieux dans le block. C’était l’heure des évocations ; des souvenirs de France nous étreignaient le cœur.
– Après la soupe du matin, nous devions raccommoder nos vêtements. Ceux qui en faisaient la demande recevaient deux ou trois mètres de fil. Les aiguilles étaient difficiles à obtenir ; il y en avait une pour vingt hommes. Il nous fallait nous présenter sans une déchirure à la soupe de midi. C’est pourquoi nous fabriquions nous-mêmes nos aiguilles avec des morceaux de fil de fer que nous aiguisions sur des pierres. Nos travaux de couture étaient interrompus par l’arrivée d’un docteur qui nous pesait chaque dimanche matin. Nos poids étaient consignés sur un registre en regard des poids des semaines précédentes. Les médecins S. S. en tiraient des conclusions scientifiques sur la valeur de notre régime alimentaire.
– Le dimanche après-midi, nous bénéficions d’une paix relative. Mais nous n’avions pas le droit de franchir la porte grillagée fermant la petite cour, pour nous promener dans le camp comme faisaient les détenus des blocks libres. Sur la place d’appel se livraient des matches de football. Il y avait des équipes allemandes, polonaises et espagnoles. Il n’y en avait pas de russes, yougoslaves ou françaises. Nous n’étions pas des « bien nourris » ; nous n’avions pas de forces à gaspiller. Nous faisions suffisamment d’exercices à la carrière pour en avoir les os rompus de fatigue.
– Nous nous réunissions, entre Français, dans un coin du block ou dans la petite cour, et notre travail du dimanche après-midi consistait à régler la question de la
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