Les 186 marches
ordinaire du camp, un supplément d’un demi-litre environ était prévu pour les régimes Ost-Kost, supplément régulièrement livré par les cuisines, car le S. S. de service veillait sur ce qu’il considérait comme une expérience intéressant l’avenir du grand Reich. Mais ce rabiot était distribué à la carrière, pour le repas de midi, par un kapo allemand, et au camp matin et soir par le chef de block, un Allemand aussi. La répartition s’effectuait dans un ordre de nationalité établi d’après les sympathies officielles. C’est ainsi que les Allemands passaient les premiers, puis venaient les Espagnols et les Polonais ; les Yougoslaves et les Français étaient en queue de liste. Au lieu de servir un demi-litre, ce qui aurait donné du supplément à tout le monde, le distributeur en donnait un litre que seuls les Allemands, les Espagnols et une partie des Polonais touchaient. Ce qui leur faisait six litres par jour au lieu des trois que nous avions. A la fin de chaque mois, les médecins S. S. en examinant les dossiers fournis sur notre état physique s’étonnaient de voir engraisser Allemands et Polonais, tandis que Français et Yougoslaves maigrissaient.
– Nous n’étions pas lésés seulement sur la nourriture. Notre installation qui aurait pu être presque confortable – nous étions deux cents par chambre au lieu de trois cent cinquante dans les blocks de quarantaine – était intolérable. Les droit commun prenaient une place énorme, tandis que nous étions obligés de coucher « en sardines ». Quant aux couvertures, un nombre suffisant en était prévu. Mais les mêmes privilégiés en prenaient plus qu’il n’était nécessaire, et il nous arrivait d’en avoir une seule pour trois ou quatre hommes. Les nuits nous étaient pénibles et souvent sans sommeil. Les premières semaines, moururent de nombreux Français, Russes et Yougoslaves : les rapports envoyés chaque mois à Berlin, par les médecins S. S., signalaient sans doute que les races française et yougoslave présentaient tous les caractères de races débiles, tandis que les Allemands étaient de nobles spécimens de l’espèce humaine. Telle était la méthode expérimentale employée au block 16.
– Tous les, matins, avant le lever du soleil, il fallait être debout, prêt pour l’appel, qui avait lieu par block sur la grande place. Puis les kommandos s’alignaient par rangs de cinq. Le grand portail s’ouvrait. Nous nous mettions en marche au. commandement des kapos. Il nous fallait défiler en ordre parfait, les bras raides le long du corps, la main gauche tenant la gamelle dans laquelle nous était servie la soupe de midi. En franchissant le portail où les S. S. de service comptaient les hommes qui sortaient, les kapos hurlaient : « Mützen ab ! » D’un seul mouvement du bras droit, toutes les têtes se découvraient et nous passions ainsi devant nos gardiens. Une fois dehors les kapos criaient : « Mützen auf ! » Toutes les têtes se recouvraient. Et c’était la course le long du chemin raide qui descendait vers la carrière. Les escaliers atteints, c’était la chute, à toute vitesse, les marches franchies quatre par quatre, tandis que les kapos hurlaient comme des loups, et que les S. S. de garde nous gratifiaient de coups de crosse pour nous faire descendre encore plus vite.
– Arrivés dans la carrière, nous subissions un nouvel appel fait par le kommandoführer qui prenait livraison de nous pour la journée. Et, aussitôt, nous étions rassemblés pour rejoindre en ordre nos chantiers respectifs. Mon kommando travaillait toujours sous les ordres du kapo espagnol Negro dans le chantier proche du moulin. Notre travail était de réduire un remblai qui avait été élevé plusieurs dizaines d’années auparavant. Nous mettions la terre d’un côté, les pierres d’un autre en différents tas suivant leur grosseur. Une ligne de chemin de fer était aménagée derrière nous sur laquelle roulaient des wagonnets qu’il nous fallait charger. Le remblai s’élevait en pente raide vers le mirador à son sommet, derrière les fils de fer barbelés…
– A midi, nous prîmes notre repas, debout comme d’habitude. La pluie tombait. Elle coulait de nos calots trempés, le long de notre nez et tombait goutte à goutte dans la soupe que nous avalions comme des loups. Nous l’avions à peine terminée qu’il nous fallait retourner au chantier et reprendre le travail. La pluie
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