Les 186 marches
rendu compte de l’inutilité de leurs prétentions, la jeune fille reçut des avertissements sévères. On la menaça de peines de travaux forcés et de l’envoi dans un camp de concentration, uniquement parce qu’elle conversait avec des détenus. Lorsque le front se rapprocha, les femmes furent armées. Ce n’est qu’au dernier moment qu’on les licencia.
– L’examen de toutes les questions relatives au personnel (détenus) incombait à la « section politique ». Les dossiers des détenus y furent conservés et complétés. Un dossier était constitué, en règle générale, grâce aux papiers d’envoi au camp (Einweisungspapiere). Parmi ces documents, il y avait un mandat d’arrêt pour raison de sûreté (Schutzhaftbefehl), un rapport du service qui envoyait le détenu, un jugement du tribunal et d’autres documents. De telles pièces faisaient souvent défaut pour les ouvriers civils, pour les prisonniers de guerre russes, pour les Juifs et autres étrangers.
– Souvent la première pièce du dossier était le questionnaire personnel établi au camp. Souvent entraient dans le dossier les demandes, émanant d’autres autorités et des parents du détenu, ainsi que les lettres adressées au détenu qui ne lui avaient pas été remises. Il y avait également les lettres écrites par le détenu et non expédiées. La plupart des demandes des autorités étaient constituées par des rapports relatifs à la conduite du détenu. L’office principal de la sûreté du Reich de Berlin (Reichssicherheitshauptampt) et l’office criminel du Reich ainsi que d’autres services posaient des questions par formulaire au sujet de la conduite du détenu. Ces demandes étaient envoyées avec les dossiers à la direction du camp ou à la kommandantur sans prise de position de la part de la « section politique ». A la direction était dressé un rapport relatif à la conduite du détenu. Ce rapport était muni du sceau du commandant. Une copie de la lettre de réponse était jointe au dossier. J’ai vu et lu environ dix mille rapports de ce genre. Parmi ces rapports, huit à dix environ contenaient des décisions relativement favorables et étaient conçus en ces termes :
– « De ces derniers temps, le détenu X… s’est quelque peu amélioré au point de vue conduite ; ses prestations ont augmenté. Si la Wehrmacht peut s’en charger, je ne vois aucun inconvénient à le libérer. »
– Environ cinquante de ces rapports étaient conçus comme suit :
– « De ces derniers temps, la conduite du détenu X…, son attitude, son rendement au travail se sont quelque peu améliorés. Je ne puis pas encore me rendre compte si cette amélioration sera durable. C’est pourquoi, je vous conseille d’introduire une demande ultérieure. »
– Tous les autres rapports contenaient des avis négatifs, ils représentaient le détenu en question comme fainéant et insolent, s’en référaient aux peines infligées au camp, et terminaient la relation comme suit : « Je refuse la libération », ou « Je refuse énergiquement la libération », ou « Je refuse en tout cas la libération ».
– Pour ce qui est des détenus politiques, on expliquait encore que le détenu n’avait pas changé entre-temps ses opinions politiques. Pour l’établissement de ces rapports, on ne contrôla jamais effectivement les prestations réelles et la conduite réelle des détenus en posant des questions s à leur chef de kommando. Les décisions étaient prises sur le « tapis vert ». Ainsi, il arriva que des rapports fussent rédigés et envoyés, alors que les détenus intéressés étaient déjà morts. Ces peines consistaient, presque sans exception, en vingt-cinq ou cinquante coups de bâton. Les motifs étaient d’ordre divers. On peut lire, par exemple, comme motifs :
– « Parce qu’il n’a pas couvert au pas de course le chemin qui conduit aux latrines. »
– « Parce qu’il n’a pas travaillé suffisamment. »
– « Parce qu’il a cuit des pommes de terre pendant le travail », et autres peccadilles de ce genre.
– Dernière pièce du dossier, lorsque le déporté était mort : le certificat de décès. Lors de sa mise en liberté, le détenu devait signer une déclaration selon laquelle il s’engageait à ne rien dire au sujet du camp de concentration et de ses institutions. Les libérations étaient tellement rares à Mauthausen qu’elles faisaient
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