Les 4 vies de Steve Jobs

rappelé que Jobs, par principe, rejetait souvent le travail fait par les autres la première fois qu’on le lui présentait. Pour éviter cette attitude déraisonnable, les employés en étaient venus à lui présenter délibérément en premier leur plus mauvais travail et à garder le meilleur pour une présentation ultérieure afin d’avoir une meilleure chance de satisfaire les attentes du boss 78 . »
    Pour faire de la station NeXT un succès, il reste énormément à accomplir. Jobsdoit inciter les éditeurs de logiciels à écrire des programmes pour l’ordinateur NeXT. Or, de toutes les grandes éditions, une seule semble prête à soutenir NeXT : Lotus. Les autres géants du domaine tels que Microsoft ou Ashton-Tate ne manifestent aucun intérêt pour NeXT.
    Pourtant, le système qui anime le cube NeXT est l’un de ses atouts. Il s’appuie sur le système Unix conçu à l’université de Carnegie Mellon. Il est secondé par un outil de développement révolutionnaire, NeXTSTEP , qu’a développé un Français, Jean-Marie Hullot, chercheur à l’Inria.
    Hullotest venu à la grand-messe annuelle d’Apple à San Francisco afin d’y présenter son outil. Il a aussitôt été invité au siège de NeXT pour faire une démonstration devant Jobs. Alors qu’il repartait vers le parking, quelqu’un est venu le chercher en courant.
    « Il m’a dit : toi, tu reviens ! Et il m’a proposé de travailler pour NeXT », a témoigné Hullot.
     
    En octobre 1987, la machine NeXT n’est toujours pas prête. Dans le monde de l’informatique, c’est un autre personnage qui apparaît désormais sur le devant de la scène.
    Un an après l’entrée en Bourse de Microsoft, le magazine Forbes place son fondateur Bill Gatesen 29 e  position sur la liste des 400 personnes les plus riches des États-Unis. Le même mois, Bill apparaît en couverture de Fortune . Le magazine indique que « Gates a apparemment gagné plus d’argent que n’importe qui d’autre à son âge, quel que soit le secteur d’activité ».
    Chez NeXT, Jobsmène plus que jamais ses troupes à la dure. Comme l’a raconté Dumaine :
    « Vers la fin des années quatre-vingt, deux ingénieurs de NeXTSTEP avaient travaillé comme des esclaves, soirs et week-ends durant quinze mois afin de tenir un délai quasi impossible sur une puce d’avant-garde. Personne n’avait jamais conçu une telle puce auparavant et la tension était incroyable. Lors d’une réunion en dehors des bureaux durant un week-end, Steve Jobsa publiquement et vicieusement réprimandé ces deux ingénieurs devant le reste du personnel, leur reprochant de ne pas travailler assez vite, ne tenant aucunement compte des efforts qu’ils avaient déjà fournis. Par pure fierté, ils ont terminé le projet mais l’un d’eux a quitté l’entreprise peu après. »
     
    Le lancement du NeXT est finalement repoussé à l’automne 1988. Durant cette nouvelle année, le siège de Redwood est le théâtre d’une activité incessante, ponctuée par les colères régulières de Jobs. Seuls quelques rares cadres parviennent à lui tenir tête ; parmi eux figure un jeune spécialiste du logiciel, Avie Tevanian, embauché en janvier 1988 après avoir obtenu un doctorat à l’Université de Carnegie Mellon.
    Bien qu’il soit tranquille et gentil, Avie ne s’en laisse pas conter par Jobs :
    « Steve, tu as tort, peut lui dire calmement Tevanian 79 .
    – Avie, tu ne vois pas du tout où je veux en venir…
    – Non, Steve, tu as juste tort ! »
    Au fil des mois, la pression exercée par Jobssur ses équipes devient de plus en plus fébrile. Comme il travaille lui-même sans relâche, il attend le même dévouement de ses sbires, exigeant qu’ils se consacrent à NeXT jour et nuit, week-ends compris. Il peut lui arriver d’organiser une réunion le dimanche matin, au mépris de la vie familiale de certains cadres. Dan’l Lewinest l’un des rares qui ose parfois lui dire qu’il n’est pas disponible le jour du Seigneur 80 .
    L’individualisme de Jobsse retourne parfois contre lui. Un soir, il doit dîner avec les représentants de diverses universités pour leur présenter sa machine NeXT. Des milliers de commandes dépendent du bon déroulement de cette soirée. Peu avant le dîner, Jobs apprend que le personnel a oublié de lui préparer un plat végétarien. Au lieu de s’en accomoder ou de trouver une solution plus raisonnable, il décrète l’annulation