Les amants de Brignais

leur solde. Quant à Bourbon, il clame à tous vents qu’il va détruire tous les routiers dès que Tancarville et ses batailles l’auront rejoint. Or, ils ont quitté Autun et cheminent lentement du fait d’un lourd charroi et de la mauvaise volonté des hommes !
    Une sorte de violence tangible – ou d’impatience – entrait comme un couteau dans le cœur de Tristan. Il sonda le regard glacé de Tiercelet :
    – Quels sont tes desseins ?… Sachant ce que tu sais, tu aurais pu retarder ton retour et nous laisser patouiller dans la merde où nous sommes. Et tu es revenu ! Je t’en sais bon gré, mais…
    L’expression pensive du brèche-dent changea avec une rapidité foudroyante. Il rit, et cette moquerie-là, Tristan pensa qu’en tout autre lieu, il s’en serait offensé :
    – Sais-tu qu’Oriabel pourrait souffrir de ton emportement. C’est peut-être de l’outrecuidance, mais vos deux vies sont sous ma protection.
    – Cette vérité-là ne me contrarie pas.
    La face hâlée de Tiercelet se referma sur ce sourire noir qui devait effrayer les honnêtes gens. Sa voix devint chuchoteuse :
    – Il nous faut essayer de flouer Bagerant. Je vais, pour ça, lui dire que ton père a réuni la moitié de la somme et que je l’ai apportée avec moi. Sans qu’il ait ile temps de placer un mot, j’ajouterai que messire Thoumelin, homme avisé, se fait fort de réunir l’autre moitié… qu’il lui portera lui-même.
    – Ce démon exigera de voir ces cinq cents écus que tu prétendras posséder !
    – Je lui dirai que connaissant sa fausseté, je me suis garanti contre elle et que je tiens à ce qu’il vous rende la liberté loin de ce pays, par crainte qu’ayant reçu la rançon, il ne vous fasse enchartrer (254) sous un nouveau prétexte…
    – Et ces écus qui n’existent pas ?
    – Je prétendrai que je les ai enterrés dans une cité voisine de Brignais dont ton père m’a fourni le nom et où il doit nous rejoindre.
    – Laquelle ?
    – Givors, à moins de cinq lieues d’ici. J’exigerai qu’il vienne avec Héliot et l’avertirai que du haut du clocher, on voit fort bien ce qui se passe à l’entour.
    Ainsi, pour le cas où il essayerait de se jouer de nous, il devrait renoncer à ses maudits écus !
    – Mais nous ?
    – S’il accepte, je partirai en avant. Vous viendrez sur ton cheval avec ces deux démons. Il me croira avec ton père…
    – Qui ne sera pas là !
    – Je dirai à Naudon que nous avons décidé d’une date : le dimanche 10 avril à midi. En fait, c’est en partant pour ton pays et en contournant le château de Givors que cette idée m’est venue. Bien sûr, ton père n’aura pas quitté sa demeure. Bien sûr, je n’ai pas cinq cents écus d’or, mais il faut affriander Bagerant, le faire quitter le Mont-Rond avec Héliot et vous deux. Le trésor sera enterré, soi-disant, dans le petit champ qui entoure l’église. Ce sera à toi de le déterrer. Sois certain que Bagerant sera pourvu d’une bêche. Or, sais-tu ce qu’est cet outil ? Une arme, et des meilleures, pour qui sait s’en servir… Je suis sûr que l’impatience de ces deux malandrins leur fera quitter leur selle. Ils s’approcheront… Une bonne pelletée de terre dans la hure de l’un… Je m’occuperai de l’autre…
    – Et Oriabel ?
    – Elle courra se jeter dans l’église. J’ai acheté le tonsuré.
    – Es-tu sûr que Bagerant te croira ? Rien ne peut attester que mon père a déjà réuni cinq cents écus !
    De l’index et du majeur assemblés en pince, Tiercelet extirpa un étui de cuir noir à l’abri d’une de ses heuses. Oriabel sécha ses pleurs et se leva tandis que Tristan tirait le message de son enveloppe.
    – Prends ça soigneusement, l’ami !… La lettre que tu tiens est écrité par la main de ton père… N’en brise surtout pas le sceau ! C’est à Bagerant de l’ouvrir puisqu’elle lui est destinée.
    Tristan découvrit, profondément enfoncé dans la cire vermeille, le petit sceau aux armes de sa famille : De gueules à deux tours d’argent. La suscription portait, écrite effectivement par son père : À messire Naudon de Bagerant.
    –  Thoumelin de Castelreng promet d’acquitter entièrement la rançon et dit qu’il sera le 10 du prochain mois à Givors pour verser le complément des cinq cents écus qu’il m’a confiés…
    – Pourquoi n’avez-vous pas choisi un jour plus proche ? Le dimanche 3, par