Les amants de Brignais
et son écuyer se retournaient parfois.
– Bien qu’ils soient en sécurité, ils semblent craindre, Bagerant, d’être percés par vos archers !
– Un traître, Tristan, se défierait de sa mère… Approchons-nous encore. Même découverts, aucun prud’homme, je crois bien, ne s’aviserait de galoper vers nous !
Ils virent ainsi grossir l’armée immobile, étincelante dans ses aciers et ses fers. Quatre chevaliers trottèrent à la rencontre de Cervole et de son écuyer. Une conversation s’engagea. L’Archiprêtre y donna de la voix et du geste avec une animation qui, de loin, paraissait excessive.
– Avançons jusqu’à cette ronceraie, décida Bagerant.
Tristan obéit, aussi docile, en apparence, que son moreau engagé dans le sillage du routier.
Les seigneurs écoutaient l’Archiprêtre. L’un d’eux, fervêtu magnifiquement, tête nue, brune et quelque peu penchée, tourmentait les rênes d’un coursier couvert d’un sambuc pourpre, et qui s’égayait en courbettes, secouant allègrement les grelots de son chanfrein et de sa culière. C’était assurément Bourbon, comte de la Marche, un des piliers du royaume de France. Deux, autres, plus effacés dans leur harnois plain 95 , apparemment terni, et qui avaient conservé leur bassinet à plu-mail noir, étaient montés sur des chevaux lourds dont ils semblaient surveiller les oreilles tout en écoutant les admonitions et conseils de Cervole. Enfin, le dernier, en retrait, chassait quelques moucherons attirés par sa sueur. Ce ne pouvait être que Tancarville. Autant que cela lui était possible, il bombait sa cuirasse ceinte d’une large ceinture orfévrée au-dessus de la baconnière. Il arborait une manche honorable à sa cubitière comme si l’affaire qui se prépa rait ressemblerait à un tournoi davantage qu’à une guerre, et qu’avant la nuit, il reverrait gaiement la belle qui lui avait fait don de ce volet de soie long d’une aune, jaune comme ces jacinthes qui jonchaient les sous-bois. Quelque éloigné qu’il fut du personnage, Tristan devina qu’il voulait, avant l’affrontement, incarner la sérénité, la force, la constance.
« Tancarville, tu n’as pas changé !… Tout fier, hein, d’être lieutenant du roi (304) ! »
Bien qu’il leur fut advenu de cheminer côte à côte, rien ne les avait rapprochés.
« Si tu me voyais là, tu attribuerais ma disparition – dont tu t’es peu soucié, j’en jurerais – à mon passage chez les truands ! »
Bagerant s’approcha :
– Revenons, Sang-Bouillant. Je suis édifié… Tiens, regarde : cette bannière n’est-elle pas celle du comte de Forez ?… On dit que son oncle le mène par le bout du nez (305) … Allons, viens !
Bientôt, ils retrouvèrent Espiote et Monsac.
Tandis que Bagerant s’entretenait avec ses compères, Tristan s’allongea dans l’herbe, sur le flanc, pour ne pas être gêné par les oreillons de ses genouillères. Le temps passa sans qu’il parvînt à dormir. La nuit vint. Espiote tira du bissac accroché à l’arçon de sa selle du pain et un saucisson qui fournit à Monsac l’occasion de quelques obscénités dont il fut seul à s’ébaudir. Tristan se vit offrir en premier la gourde de Bagerant. Il but deux gorgées de vin piquant tandis que Monsac acceptait de galoper jusqu’au Mont-Rond pour aviser les chefs des dernières dispositions conclues avec Cervole.
– Tu peux dormir, Sang-Bouillant, dit Bagerant, puisque jusqu’à preuve du contraire, tu n’appartiens pas à notre famille !… Dis : à quoi vas-tu rêver ? Aux mamelettes et au potron de ton épouse ou aux coups d’épée que tu vas devoir fournir ?
Son rire trouait l’obscurité, blanc et luisant comme un trait de bave, et ses yeux se voyaient à peine tellement il les clignait.
– Demain, après-demain, si tu vis encore, tu pourras besogner Oriabel. Et le 10, nous irons de conserve à Givors.
– Je vivrai, Bagerant ! Puisse Dieu me permettre de vivre assez longtemps pour te voir, un jour, moins outrageux que maintenant !
Et là-dessus, l’épée sur lui, les mains rassemblées autour de sa prise, tel un gisant, Tristan attendit le sommeil.
II
Réveillé avant l’aube, Tristan feignit de dormir. Espiote ronflait non loin de lui. Le Bâtard de Monsac et Naudon de Bagerant, à la lisière des arbres, attendaient les premières clartés. Elles vinrent d’un coup comme si le soleil avait hâte d’assister à la
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