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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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condition qu’une épée ne te l’ait pas percée !
    Tous rirent, même Tristan. Mais son rire n’était qu’une fade grimace.
    – Ils viennent… Venez voir !
    Bagerant et Espiote, puis Tristan, à deux pas, rejoignirent le Bâtard de Monsac.
    L’armée s’était remise en mouvement, et c’était, au son des flûtes (308) , un fleuve de fer qui coulait dans la vallée, emportant dans son flot une multitude de lances, d’armes d’hast, de pennons et bannières. On l’en voyait pas la fin.
    – Ils vont s’amasser dans la plaine de Sacuny ! s’écria Bagerant.
    –  S’ils n’en bougent plus, dit Espiote, il faudra les assaillir de nuit.
    – Avec ou sans le Petit-Meschin ! acquiesça le Bâtard de Monsac.
    Une impression de force irrésistible se dégageait de ce miroitement en marche. Aux hordes fangeuses, malfaisantes, venaient fermement s’opposer ces connétables en bon arroi pour le moment, comme si le roi, du sommet des Barolles, assistait à leur progression. À chaque fluctuation due aux accidents et détours du terrain, des aciers clignotaient comme des vaguelettes tandis que, sous leur chanfrein de fer souvent armé d’un dard aussi long qu’un picot de lance, les chevaux hennissaient d’émoi ou d’impatience.
    – Comment les trouves-tu, Sang-Bouillant ?
    – Que t’importe !
    Cette armée semblait fière, sûre d’elle et de ses chefs. Tout comme celle qui s’était acheminée vers Maupertuis. Il avait chevauché parmi des milliers d’hommes pareils à ceux qui s’en venaient aux Aiguiers. Sa vue n’en avait été que fragmentaire, bien que, debout sur les étriers, il eût été plus avantagé qu’un piéton. Il s’était senti au chaud en leur sein ; rassuré par leur confiance, leurs regards, leurs chants et leurs rires. Maintenant, ce matin du mardi 5 avril, il avait une vision quasi complète d’un déploiement de douze mille guerriers, et sa peau se mouillait d’un plaisir qu’il maîtrisait à grand-peine. Ces justiciers-là purgeraient le Lyonnais de sa racaille ; ils venaient de partout mais leur unité semblait faite. Et solidement !
    – Tu te dis, compère, que d’où nous sommes, ils semblent glisser vers la victoire… Mais ne sais-tu pas que lorsqu’on glisse trop, l’on tombe ?
    – Regarde qui vient devant, Naudon, ricana Espiote.
    Un coup de vent étira la bannière que l’homme portait appuyée sur le faucre de l’étrier. Tristan, le fiel aux lèvres, lut à haute voix :
    . – De gueules à un cerf passant d’argent sommé d’or, chevillé de dix cors… Pour un coup, l’Archiprêtre chevauche en tête… Il est vrai que rien n’est commencé !
    Couvert d’un houssement vermeil, le cheval encensait gaiement. Songeant à tout ce qu’il savait sur son cavalier, Tristan éprouva, au-delà de sa fureur, une amertume où la désespérance, la honte et l’aversion se mêlaient. Ses muscles pesant soudain plus que leur poids, il dut s’appuyer d’une main contre un tronc d’arbre, tellement il défaillait. « Le monstre ! L’ignoble ! » Si la raison l’incitait à haïr cet homme abominablement versatile, quelque chose de plus accroissait sa répugnance envers lui : sa fierté d’être de France bien qu’il fut solidement attaché à son pays de Langue d’Oc, ce dont Guillonnet de Salbris et Thomas d’Orgeville se gaussaient en le nommant : le Toulousain (309) .
    « Que font-ils maintenant ces deux présomptueux ?… Que croient-ils que je suis devenu depuis la soirée d’Auxerre ? »
    Reportant son attention sur l’Archiprêtre, il se dit que cette crapule semblait attirer la lumière du ciel. Présentement, il avait l’air majestueux, impassible, et d’aucuns eussent loué sa simplicité, sans pressentir qu’elle était mensongère. C’était avec une fermeté de chevalier rompu à toutes les circonstances qu’il tenait son roncin, et l’on sentait que sa façon de le conduire n’avait d’égale que celle avec laquelle il menait les quinze cents brigands que, selon Bagerant, il entretenait à grands frais. Depuis ses dix-huit ans, cet homme qui pouvait en avoir trente et même plus, régnait en suzerain absolu sur ses mercenaires, ses chevaux et les femmes qui, consentantes ou non, traversaient son lit. Et quel était ce Floridas dont le rouan cavecé de gris trottait dans son sillage ? Un page à la façon de tous ceux de Brignais ?
    Derrière chevauchaient deux écuyers porteurs de lances,

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