Les amants de Brignais
puis Bourbon, sur un cheval noir, presque nu, et d’autres dont les pennons et bannières s’aheurtaient. Ensuite, trois mille chevaliers et écuyers montés entouraient des musiciens, à cheval éga lement, et qui, les flûtes s’étant tues, frappaient sur des tambours et soufflaient dans de grandes trompettes, par spasmes ; mais quelle que fût la puissance de cette musique, elle ne pouvait couvrir l’immense cliquètement des armes, des harnois d’hommes et des lormeries 97 , et les hennissements qui, çà et là, révélaient la nervosité d’une bête, partant celle de son propriétaire.
La plupart des seigneurs trottinaient en avant. Puis marchaient les arbalétriers, courbés sous le poids de leur arc, de leur carquois et de leur grand pavois. Ensuite, dans le brasillement de leurs armes et coiffes de fer, s’en venaient les piétons aux dos et aux épaules ferrés, les uns fiers, les autres soucieux, le teint vif, sans doute, d’avoir avalé moult pintes de vin pour se donner du courage. Tristan s’usait la vue à les considérer. Quand donc cette multitude à la fois diverse et homogène passerait-elle à l’action ? Vers quels lieux porterait-elle sa fureur ? Il était conforté par sa force innombrable et se fût joint à elle avec bonheur. La voix mordante de Bagerant suspendit sa contemplation :
– Quel plaisir nous aurons à tailler là-dedans !… Vois comme ils sont au coude à coude !… Il faut ses aises à qui veut bien se battre… On dirait des moutons… sauf qu’ils ne bêlent pas ! Mais cela viendra !
Comme une île au milieu d’un torrent d’acier, un chevalier dont une cotte bleu sombre dissimulait en partie l’armure, gesticulait et hurlait. Ses cris et mouvements révélaient un mépris hautain pour cet entourage de hurons et de manants conduits au sacrifice, et sans doute un défi envers les malandrins invisibles qu’il souhaitait écraser. Tristan détesta cet outrecuidant.
– C’est Jean de Neufchâtel, on dirait, fit Espiote.
– Dirait-on pas plutôt le sire de Longwy 98 ?… Qui l’aura courte !
Le Bâtard de Monsac fut le seul à s’esclaffer de son bon mot. Tristan soupira : une brève méditation venait de le conduire sur cette molle du Mont-Rond préparée pour la réception furieuse de l’adversaire. Les chevaux se rompraient les membres dans les fossés, les cheva liers choiraient à terre ; ceux qui passeraient tant bien que mal seraient accablés de pierres et de sagettes avant que d’être assaillis à l’épée ou l’épieu. « Et moi, dans tout cela ? » Non seulement lui, mais surtout Oriabel… Tiercelet… Et cette baronne dont il avait en quelque sorte hérité… Etrange Mathilde ! Il n’avait jamais éprouvé, envers une femme, la sensation de gêne, d’agacement que celle-ci versait en lui. Ressemblait-elle à « la » Darnichot ?… Question mineure. Il aimait Oriabel avec une sincérité, une dévotion sans faille et sans mesure. Il la rendrait heureuse. Immensément il vit Bagerant sourire comme s’il l’approuvait.
– Emplis tes yeux, Sang-Bouillant, de ce spectacle : les lis de France viennent au-devant des orties.
Tristan s’efforçant de ne pas répondre, Bagerant se contenta d’un soupir.
– Partons, dit-il. Nous confirmerons à Aymery que c’est cette nuit qu’il nous faut assaillir ces gens-là. Cette nuit, s’il y consent toujours ainsi que Garcie du Châtel… Pourvu qu’ils soient demeurés fermes dans ce dessein. Viens !
Tristan s’abstint de demanda où ils allaient. Sondant les yeux du routier, il ne fut pas surpris d’y trouver de la joie. Cependant ce plaisir d’avoir à batailler bientôt paraissait tellement outre qu’il révélait surtout une malice passagère, destinée à le courroucer. Cet homme aussi pouvait se ronger de peur. Peur de souffrir d’une blessure terrible ; peur d’être pris et de devoir endurer les punitions et tourments qu’il dépensait aux autres.
***
Ils s’arrêtèrent dans le bosquet de chênes qui couronnait le Tertre tandis que l’ost royal s’éployait dans les champs de Sacuny. De là, ils pouvaient voir la base du Mont-Rond grouillante de routiers, et son sommet où, derrière des murets de pierre, bougeaient des chapels de fer. Aux créneaux du château quelques hommes veillaient ; d’autres occupaient le faîte du donjon.
Tristan avait souhaité que les gens du roi poursuivissent leur avance. La déconvenue avait
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