Les amants de Brignais
ce fut le frai (338) dû au ronflement et à la crépitation des flammes. Comme on devait souffrir !
– Dois-je te dire : courage, mon fils ?
– Non, Angilbert.
Foule hurlante. Elle allait battre des mains. Crachats. Jets de pierres : les Lyonnais avaient eu le temps d’en faire provision. N’y plus penser. Se consoler par les leçons tirées des actes dont on pouvait s’enorgueillir…
Oh ! Et puis à quoi bon ressasser le passé, à quoi bon se rafraîchir l’âme par le souvenir des voluptés évanouies. Peut-être un jour, si elle guérissait de sa désespérance, Oriabel sentirait sur son corps la présence de mains étrangères… Ce ne serait pas celles de Tiercelet. Non !… La vie, la mort…
« Je ne sais plus où j’en suis. »
– Là-haut, dit Angilbert, nous serons libres.
Libres de quoi ? De flotter dans l’azur comme autant de nuages ?
– C’était tout de même une belle bataille, hein, Castelreng ?
– On n’en parlera point.
– Et pourquoi ?
– Parce qu’elle est perdue pour les lis.
– Il est vrai… On va bien s’ébaudir à la Cour d’Angleterre.
Il y eut un cri. Salbris. Il ajouta :
– Taisez-vous ! Taisez-vous !
Angilbert roucoula, puis :
– Ah ça non, mon fils. Voudrais-tu nous imposer silence avant que nous ne toussions des flammes ?… Fais comme nous : pense à la bataille. Tu survis, mais dis-toi que ton honneur est mort.
– Je me demande, dit Tristan, s’il en a jamais été pourvu.
Il venait d’accéder à la dernière marche. Le coup de poing ferré qu’il reçut sur son épaule blessée lui tira un gémissement. Il sentit quelque chose rouler sur ses joues.
– Oh ! Toi, Guillonnet…
Il se tut, ne trouvant aucune parole assez forte pour ambler l’abîme d’horreur qui venait de s’ouvrir entre Salbris et lui.
VI
Le soleil avait envahi la cour de la Malemaison. Ses brandons enflammaient les rares vitres des bâtiments et avivaient les feux des escarboucles et des béryls bleus et verts assemblés en croix sur la mitre d’un évêque barbu, immobile et comme accablé d’ennui. Le crosseron de son bâton pastoral, roulé en trois volutes, semblait une couleuvre lovée dans la tiédeur du matin prête à se dérouler pour lui mordre la main.
Il y avait aussi des luisances d’armures ; elles alternaient avec l’éclat des chasubles, des étoles, et le chatoiement des robes et chaperons emperlés, de sorte que toute cette frisqueté (339) ne pouvait qu’aggraver l’état lamentable dans lequel se trouvaient les prisonniers. Tous avaient leurs vêtements lacérés encroûtés de sang sec. Cependant, si Nadaillac, Sabourin, Martineau et Lambrequin se tenaient debout, Taupart et Fauquembois demeuraient allongés. Baissant les yeux, Tristan vit que leurs pieds n’étaient plus qu’une marmelade noire, purulente. Par le fer ou l’eau bouillante, peut-être les deux alternés, ils avaient subi la question.
– Notre lit, mon fils, et notre sort furent avantageux.
Tristan se contenta d’approuver de la tête. Guillonnet de Salbris s’esclaffa :
– En voilà deux qui, s’ils étaient condamnés à vivre, ne pourraient plus monter sur leurs grands chevaux ! Vous ne leur enviez pas leur nuit ?
Le bourreau cagoulé de rouge se défendit sous le regard haineux qu’Angilbert lui jetait :
– Hé, mon Père, je n’œuvre pas seul en cette demeure. Voyez mes bons assesseurs !
Ils avaient l’aspect de deux écorcheurs. Au Mont-tond, ils eussent été accueillis à plaisir sans que Thillebort lui-même se fut senti enclin à barguigner sur leur admission dans sa route. Derrière ces turlupins ; glabres et rubiconds – comme s’ils suçaient aussi le sang de leurs victimes –, dix ou douze dames aux manteaux de cendal, de velours ou de mollequin ; aux huves et frontaux 122 emperlés, souriaient et caquetaient comme au sortir d’une messe. Tristan, gêné par une colique, dut s’avouer qu’ils les eût détestées s’il l ’avait conservé la mémoire des malheureuses de Brillais. Ces Lyonnaises n’ignoraient rien, sans doute, des traitements endurés par les captives des Tard-venus ; mais était-ce tout de même une raison pour qu’elles voulussent assister à l’embrasement de huit d’entre eux ? Il devait hélas ! s’intégrer dans ce nombre puisque Salbris en avait décidé ainsi et que demander, exiger un procès eût été une requête non seulement rejetée,
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