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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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mais risible et humiliante. Il avait franchi les lisières de son monde ; il appartenait désormais et pour peu de temps, sans possibilité de recours, à cette sentine d’humanité dont il s’était persuadé, avant même d’en connaître l’abjection, qu’il fallait l’anéantir.
    « Je suis perdu », se dit-il alors que, tirée par deux bœufs roux, la charrette destinée aux suppliciés entrait dans la cour, hérissée de ridelles si hautes, à treillis de bois si étroit, qu’Angilbert, blême et frissonnant, commenta en s’efforçant de sourire :
    – Voilà qu’ils nous prennent pour des écureuils. Pas vrai, Tristan ?
    C’était des charrettes de cette espèce, tirées par des bœufs semblables, qu’on employait à Castelreng aux moissons et fenaisons. Il n’avait jamais craint de se joindre aux hurons pour contribuer à l’engrangement de la paille et du foin. Ces jours-là, on mangeait et buvait tous ensemble. Il était le confident des espérances et des doléances de ces humbles auxquels sa présence manquait peut-être. Une rage désespérée le prit : « Sitôt dans la rue, je clamerai mon innocence ! » S’il échouait, il se démènerait jusqu’au pied du bûcher. Il faudrait bien que quelqu’un entendît ses lamentations ! Il devait se refuser d’espérer que par mansuétude, comme c’était souvent l’usage, il serait étranglé avant que la torche eût atteint la paille… Bon sang, n’y avait-il plus à Lyon de chevaliers de haut rang pour qu’on eût concédé à un Guillonnet de Salbris toute liberté d’officier à sa guise ? Avait-il, dans cette cité, des accointances particulières ? Auprès de qui ? N’eût-il pas dû, avant de procéder à la punition, en référer au roi ? Au régent ? Avait-on envoyé quelques chevaucheurs à Paris, ne fut-ce que pour commenter la bataille ? Jean le Bon dont les errements avaient abouti à la défaite de Poitiers ; Jean le Bon qu’un Charles de Navarre, absent de Brignais, avait moqué, outragé, trahi, n’allait-il pas tomber d’apoplexie à l’annonce de l’anéantissement de sa grande armée ?
    Existait-il encore des chevaliers de l’Etoile pour pleurer cette insigne déconfiture : les gens du roi vaincus par la truanderie !
    Un homme s’approcha, que Tristan ne connaissait pas. De loin, il avait cru qu’il s’agissait de Tancarville ou d’Audrehem, mais ses yeux fatigués par les ténèbres de sa geôle lui avaient deux fois menti :
    – Etes-vous prêts ?
    – À quoi ? demanda Angilbert. À mourir, messire de Puisignan ? Je vois là-bas, parmi des nobles dames, quelques frocs de la même bure que la mienne, mais fraîche, et propre, et soignée. Compendieusement et fermement – amen ! – je les emmerde… Votre armure est belle, messire. Je ne l’ai pas vue sur la plaine où tant des vôtres se sont fait occire.
    Tristan vit la figure du seigneur blêmir et ses gantelets se serrer. Il pouvait avoir quarante ans. Il était blond, sans doute, à en juger par ses moustaches. Des yeux bleus, vifs, et qui d’ordinaire devaient être rieurs. Une bouche avide : il devait aimer les plaisirs du cœur et de la table.
    – Si je n’avais d’égard pour la Croix que tu portes, tu recevrais, prêtre infâme, une baffe, comme disent les truands, tes ouailles !
    Il se détourna. Un homme en robe rouge, un bailli à l’air avantageux dissimula volontairement ou non son visage derrière le parchemin qu’il avait déployé, tout en marchant vers Tristan et le clerc, comme s’il leur devait une distinction que tous deux, d’un regard outragé, réfutèrent.
    Où était Oriabel ? Plus rien ne prévalait contre ce sentiment que déjà un certain Tristan de Castelreng se mourait sans recours : avant que le soleil eût atteint son zénith, il ne serait qu’un peu de poudre. Enfoui dans l’opprobre jusqu’au cou, il pouvait au moins considérer cet homme qui incarnait la Loi, la Justice et le roi, et qui psalmodiait :
    –… et ils seront dispensés de l’amende honorable sèche, mais seront astreints à l’amende honorable in figuris (340) et se présenteront en chemise, pieds nus et la corde au cou sur le parvis de l’église Saint-Martin où ils s’agenouilleront, la torche de cire à la main (341) . Ils y feront l’aveu de leur malfaisance, abjectio, luxure et autres péchés répugnants, dont celui de pillage, celui d’occision, celui de viol. Les condamnés seront tous ars (342)

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