Les amants de Brignais
Normandie. Ne s’ensuit-il pas clairement qu’avant la dispute Maillart était de la faction du Prévôt, et que ce fût une querelle qui le ramena au parti du Dauphin ? Conséquence qui se trouve comme appuyée par cet autre passage où l’Historien, après avoir raconté l’entrée du Dauphin dans Paris, ajoute : là estoit Jehan Maillart delez lui, qui… estoit en sa, grâce… combien que paravant il feust de l’aliance du Prévost des Marchans.
Je ne pousserai pas plus loin ce parallèle : j’en ai assez dit pour montrer que Froissart dans le texte manuscrit, est d’accord avec les autres historiens et avec les monuments du temps ; au lieu que dans le texte imprimé, il se trouve en contradiction avec ces mêmes monuments. C’est ce que j’avais à prouver pour justifier la préférence que je donne au manuscrit.
On demandera peut-être comment il a pu arriver que ce même événement soit raconté d’une manière si différente dans les manuscrits dont j’ai parlé, et dans ceux qui ont été suivis par les éditeurs de Froissart ; car je ne dois pas dissimuler qu’il existe plusieurs manuscrits conformes en ce point avec les imprimés. On ne peut former à cet égard que des conjectures : il est vraisemblable qu’un des premiers copistes, usant de la liberté que ses pareils n’ont prise que trop souvent, se sera permis, pour des motifs qu’on ne peut deviner, d’altére r le texte de Froissart, et que cette copie ayant servi de modèle à d’autres, l’erreur se sera répandue et accréditée. Peut-être aussi pourrait-on penser que les deux récits sont également de Froissart. Dans cette superposition, l’Historien trompé par un rapport infidèle, aurait publié dans une première édition, si je puis me servir de ce terme, le récit que les éditeurs ont adopté parce qu’ils n’en connaissaient point d’autre ; puis, étant dans la suite mieux instruit, il se serait corrigé lui-même, ainsi qu’il l’a fait plusieurs fois dans son histoire. Mais, comme il la publiait à mesure qu’il la composait, et que chacun s’empressait de se la procurer, la première édition aura pu être considérablement multipliée par les copies, avant que l’auteur donnât la seconde avec ses corrections : de là vient que la leçon défectueuse concernant la délivrance de Paris, et plus ieurs autres du même genre, que le tra vail dont je m’occupe actuellement me donnera occasion de relever, se trouvent dans quelques manuscrits.
Comme les discussions dans lesquelles j’ai été obligé d’entrer, peuvent avoir fait perdre de vue le but que je ne me suis proposé, je résume en peu de mots principaux points que j’ai tâché d’établir. Je crois avoir prouvé qu’à l’exception de Froissart, tel que nous avons eu jusqu’ici, aucun des écrivains du XIV e siècle ne fait honneur à Maillart du salut de Paris ; que le silence de quelques-uns d’entre eux qui ne le nomment même pas, et la réticence des autres qui, en le nommant, ne lui donnent aucune part à la mort de Marcel, nous mettent en droit de suspecter le récit attribué à Froissart ; et que ce récit étant en contradiction avec des pièces originales, dont l’autorité est supérieure au témoignage des Historiens, ne saurait être admis. Enfin, j’ai substitué à la leçon des imprimés une leçon tirée des manuscrits les plus anciens et les plus authentiques, qui s’accordant beaucoup mieux avec les Chroniqueurs contemporains, et se conciliant parfaitement avec les monuments conservés au Trésor des Chartes, mérite à tous égards d’être préférée.
Il résulte donc de ces preuves réunies, que Maillart loin d’avoir toujours été, comme on nous le représente, un sujet fidèle, un citoyen généreux, était au contraire un partisan zélé du roi de Navarre et du Prévôt Marcel, qu’il leur était encore dévoué au mois de juillet 1358, date de la donation d’une partie des biens confisqués sur lui, au comte de Porcien, et même le 31 de ce mois au matin, jour de la mort de Marcel ; qu’alors seulement, après avoir eu une querelle très vive avec le Prévôt, il changea de parti, soit qu’il fut blessé de ce qu’on voulait ôter les clés des portes aux gens à qui il les avait confiées, pour les donner à Josseran de Mâcon ; soit qu’il se défiât du succès de la conjuration, et qu’il craignît, si elle échouait, d’être une des premières victimes de la vengeance du
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