Les amants de Brignais
retard, dit Tiercelet. C’est peu, d’ailleurs aucun parent, aucun compagnon, aucune belle fille… personne ne nous attend !
Pour la première fois, Tristan lui trouva un visage las et perplexe.
– Que faisons-nous ? demanda-t-il.
Son moreau venait de s’arrêter de lui-même au sommet d’une motte bourbeuse, parmi des genévriers des fougères dévastés par les pluies. Le Blanchet de Tiercelet piaffait, humant à pleins naseaux le vent du soir comme pour y percevoir une odeur d’écurie.
– Lyon me déplaît, compère. On y compte deux fois plus d’hommes d’armes qu’à Paris.
Les tisons du soleil réapparu vers none (1) 63 chauffaient la nuque de Tristan à travers le velours de son chaperon. Il y porta sa dextre tout en se demandant ce qu’il devait répondre à son compère.
« Mais rien », décida-t-il.
Que ressentait-il donc, soudain ? De la résignation ? De l’anxiété ? Du découragement ? Miroitante d’orgueil entre la Saône et le Rhône, la grande cité dont la couronne grise semblait vou loir étouffer les églises et les maisons lui inspirait plus de crainte, à lui aussi, que de confiance. En chemin, il avait parfois déterminé les détails d’une séparation qui pouvait avoir lieu maintenant ; il se découvrait incapable de rompre ce qu’il nommait une accointance de crainte d’employer un lot plus éloquent.
Peut-être, en franchissant ces murs, rencontrerais-tu des chevaliers de connaissance… Cet Orgeville et ce Salbris dont tu m’as parlé.
Tristan caressa l’encolure de son cheval. Le Noiraud, fourbu d’avoir piété dans la boue et les fondrières, avait besoin de nourriture.
– Ma voie paraît tracée, Tiercelet. Tu m’y as aidé involontairement. Après Lyon, Valence. Nîmes… Béziers, Narbonne… Carcassonne. On me croit mort, j’en suis sûr, à Paris… Je renonce à mes devoirs… Un vieux clerc de Sainte-Colombe est mon parrain. Il t’absoudra de tes péchés si ton repentir est sincère…
– Mes crimes deviendraient de bénignes erreurs !
Exprimée en riant, cette réplique eût indigné Tristan ; or, elle n’était qu’un murmure et la mélancolie qui l’alourdissait attestait qu’un regret travaillait Tiercelet. Examinant inopinément et lucidement son passé, il en délibérait sans compassion ni complaisance.
– Quelle bonté, Castelreng !… J’ai toujours donné libre cours à mes intentions sans jamais penser que je courrais m’en repentir un jour… Pourquoi ? Parce que l ’hésitation et le remords, ça me donne la migraine… Vois-tu, j’ai une sorte d’orgueil à m’estimer heureux tel que je suis : sans carcan ni chaîne. Etre ton lieutenant ou devenir ton écuyer – si c’est ce que tu imagines –, eh bien, non. Tu ne cesserais de m’abreuver de leçons, tu me dispenserais des conseils, tu m’admonesterais parfois !… J’aurais, près de toi, plus mésaise que de sérénité. L’écuyerie, d’ailleurs, doit revenir aux nobles.
Désagréablement agacé, Tristan haussa les épaules. Des gouttes suintaient à la racine de ses cheveux mouillaient le bord de son chaperon à la façon d’une colle. Pour la première fois de sa vie, l’idée de se séparer d’un compagnon – et pourtant quel compagnon – l’irritait et le chagrinait.
– Tu en sais plus sur moi que je n’en sais sur toi remarqua le brèche-dent. Tu as failli être un clerc. Bon ! Tu as vécu à la Cour… Soit. Et comment ?
– Comme un homme dévoué à la Couronne, suivant le roi ou son fils Charles partout… dormant dans une hôtellerie de la rue Saint-Denis, courant la fortune du pot… Que te dire d’autre ?
– Et les femmes ?
– Les grandes amours ou rien !… J’attends, j’espère. J’avais décidé de revenir en Langue d’Oc dès que serait terminé…
– Quoi ?
« Il me faut lui mentir ! »
– Mon service auprès du roi.
Tiercelet pouvait-il se satisfaire d’une telle réponse ? Oui, apparemment. Il semblait peu pressé de quitter ce tertre où cinq ou six moineaux et un merle picorait quelques graines puis s’enlevaient, d’un vol bas, vers des friches tachetées d’eau grise. Et sans doute par qu’il découvrait sous ses yeux une contrée toute lisse à peine pommelée de bosquets, Tristan se remémora sans nul plaisir sa mésaventure dans la forêt Cravant.
« Je suis Tristan de Castelreng ! » avait-il crié ; l’homme déterminé à l’occire. Les coups de
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