Les amants de Brignais
genouillères :
– Pitié ! Pitié ! dit-il en essayant de retenir Tiercelet aux chevilles.
Mâchoires serrées et tempes moites, Tristan s’attendit à un coup mortel.
– Cela ne servirait à rien, plaida-t-il mollement.
– Crois-tu ?… Pendant qu’il me révère ainsi qu’un saint d’évangile, va visiter la cavalerie. Regarde s’il n’y a pas une corde au pommeau d’une selle. Ces gens-là aiment, par pendaison, rendre justice eux-mêmes.
Tristan, docile, examina les garrots et les selles.
– J’ai ce que tu demandes. Du bon chanvre tout neuf.
– Donne… Bien… Maintenant prends tous ces chevaux à la bride… Conduis-les sur ce chemin par lequel nous sommes arrivés… Hâte-toi ! Je vois que ton arme te gêne…
Tristan fit entendre un soupir excédé. Il coinça son épée entre son pourpoint et sa ceinture.
– D’où tiens-tu cette lame, compère ?
– Un don de messire saint Michel.
Il passa entre les chevaux, les aligna sans difficulté et réunit leurs rênes dans ses mains.
– Merdaille ! dit Tiercelet après qu’il l’eut regardé procéder. Messire saint Michel, rien que ça !… Ni moi ni ce goguelu dont je vais m’occuper ne saurions nous vanter d’une telle accointance !
Tristan se hâta vers le chemin enténébré, souhaitant atteindre au plus tôt les champs, les bosquets et les friches. Il chancelait, s’interrogeait : « Que veut-il faire de tous ces chevaux ?… Celui que j’ai monté va devant comme un malheureux qu’on pourrait abandonner et qui s’y refuse ! » Il entendit Tiercelet commander : « Lève-toi ! » puis ses oreilles furent de nouveau emplies par le sabotement des roncins, le bruissement épais de leurs haleines, les petits grincements et cliquetis de leurs cuirs, étriers et gourmettes. Leur odeur profonde et chaude, familière, lui devenait agréable.
La lune brillait, maintenant, mais à peine, et le pays bosselé qu’elle divulguait, fuligineux et glacé, lui inspirait moins de crainte qu’une lassitude profonde. Qu’allait-il trouver au bas de cette pente ? Il redouta qu’en s’éloignant de Vézelay, il ne dût perdre un peu de lui-même et que, malgré son épée – il faudrait bien qu’il la restituât ! – il ne fût condamné à errer demi-nu, fragile et affamé, dans un désert uniquement peuplé d’adversaires. Il entendit un bruit de course et vit avec plaisir Tiercelet le rejoindre.
– Tu l’as tué ?
– Je l’ai mis à l’épreuve avec sa propre lame… que j’ai conservée.
– Tu l’as égorgé ?… Tu as beau secouer la tête, je ne te crois pas… Certes, cet homme ne valait rien, mais…
–… mais on ferait mieux de s’occuper des chevaux… Reprends le moreau que tu montais ou choisis parmi ceux-là celui qui te paraît le meilleur… Je vais visiter toutes leurs selles – Non, ne t’arrête pas ! – et trancher les ventrières… Ainsi, tous ces mâtins ne pourront recommencer leur pourchas !
Tiercelet s’éloigna. Tristan regarda autour de lui les haies et les fourrés, quelques murets livides, et les arbres derrière lesquels des hommes eussent pu se dissimuler. La prise de son épée lui meurtrissait la hanche.
– Tiercelet, si tu trouves un fourreau qui convienne à ma lame…
J’y pense, à votre Floberge !
Tu penses à tout… Va pour Floberge (1) 61 !… Tu me fais grand honneur en l’appelant ainsi !
– C’est que je t’ai en particulière faveur !… Tiens, j’ai même trouvé une épée d’arçon… Si j’en ai l’occasion, tu verras que tout manant et truand que je suis, je la manierai comme un preux !
Un cheval, au trot, descendit la pente ; puis deux autres. Tous trois avaient été soulagés de leur selle. Tiercelet s’exclama :
– Une escarcelle et des écus !… Il y a là de quoi manger… de quoi s’acheter des jaques de cuir et des hauts et bas-de-chausses…
Il y eut un bruit de selle tombant sur le chemin, puis quatre ou cinq autres. Le malandrin tranchait à plaisir le cuir des ventrières. Quand ce fut achevé, il gloussa.
– Je me suis réservé ce roncin blanc… Te connaissant, je sais que tu vas reprendre ton moreau.
– C’est vrai… Tu me connais mieux que je ne te connais.
Tiercelet surgit de l’ombre, menant son cheval par la bride, un fourreau et une ceinture d’armes à la main, une épée au côté.
– Tiens, prends ça… Hâte-toi de ceindre cette arme… Ne sois pas offensé si
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