Les amants de Brignais
bien-nommé. J’en suis parti par déplaisance, et c’est du côté de Lyon que j’espère trouver d’autres compères.
– Compères de merdaille !
– Holà !… Je ne t’oblige pas à me suivre. Si tu veux, mettons pied à terre maintenant, partageons l’escarcelle et chacun pour soi !
– De toute façon, c’est mon chemin.
– Le château d’où tu viens est dans quelle tenure ?
Le maugréeux s’exprimait selon ses moyens ; Tristan lui répondit avec les siens :
– Si je te dis que Gaston Fébus a, proche de chez nous, un donjon où il loge quand il chasse, seras-tu content ?
– Parce qu’il me faut l’être ?
– Ce donjon est sis à Saint-Couat-du-Razès. Fébus s’y repose aussi quand il se rend à Mazères (1) 62 une cité qu’il aime autant que Foix… Et moi, je m’en reviens à Castelreng.
– Pour y trouver le gîte et le couvert ?
Non… J’offrirai mes services aux prud’hommes qui me sembleront en difficulté.
Adieu Paris, la Cour, la vie stérile et mouvementée ! Dans l’état où il se trouvait, il eût été heureux sur les hauteurs froides et venteuses de Quéribus, Peyrepetuse, Puylaurens… Puylaurens surtout, et pour des raisons particulières. Mais il n’ouvrirait son cœur personne, surtout pas à un malandrin tel que Tiercelet !
Pour oublier sa faim et son désarroi, il regarda les vapeurs qui ondulaient, telles de longues et pâles fumées, sur les berges gorgées d’ombre de la Cure. Point de vent, ici, pour animer les jeunes feuilles. Celles des bouleaux, pourtant si frileuses, ne tremblaient pas. Lorsque le chemin s’en rapprochait suffisamment, il pouvait entendre la rivière grésiller sur les rochers. Ce mouvement de l’eau ne rendait que plus évidente l’immense fixité des fantômes enténébrés.
***
Peu après le lever du soleil, ils entrèrent dans Chastellux. Ils durent y attendre l’ouverture des échoppes. Assumant toujours le commandement, Tiercelet acheta de quoi manger, boire et se vêtir : deux chemises de lin, deux pourpoints de tiretaine, des chausses de velours ciselé, rouge pour lui, vert pour son compagnon, et deux chaperons assortis. Les chevaux furent nourris : foin et avoine. Et l’on repartit.
– Ce soir, Tristan, nous serons à Saulieu. J’y connais un barbier. Nous nous étuverons chez lui.
Leur faim assouvie, leur soif étanchée d’un vin de Pouilly, leur corps à l’aise et au chaud dans des vêtements convenables, une sorte de nonchalance paracheva leur satisfaction. Autour d’eux, la campagne épurée de toute grisaille semblait également nettoyée des malfaisances humaines. Voletant çà et là, des fri-quets mêlaient leurs piailleries aux croassements d’une compagnie de corbeaux juchés sur un arbre mort, aussi noir que leur plumage.
– Sache-le, Tiercelet : je ne reviendrai jamais à Paris… Trop de mouvement, de vacarme… Tous ces fracas de roues de chars et de charrettes…
– Et les crécelles des coureurs précédant les carrosses et les basternes 37 .
Tristan n’ajouta rien et Tiercelet n’insista pas. Sans doute voyait-il lui aussi dans sa mémoire, ces maisons lugubres et ces églises flamboyantes – pierre et luminaire – sur le parvis desquelles des déchets d’humanité criaient misère en tendant leur paume creuse aux passants… Saleté des êtres et des choses. On pataugeait dans le fumier, la boue, le crottin…
Saulieu fut atteint. C’était une cité propre, semblait-il, blottie entre des murs apparemment épais sur lesquels brillaient les dômes de deux barbutes.
– Que penses-tu qu’il faille faire, Tristan ? Manger et coucher à l’auberge ou nous trouver, hors de ces murailles, une grange accueillante ?
Par prudence, il nous faut préférer la grange.
Tiercelet fut pris de ce rire que Tristan commençait à connaître, bref et sifflant comme la longe d’un fou cinglant comme sa mèche. Il n’en fut point touché. D’ailleurs le brèche-dent regrettait son outrance :
– Maintenant que je commence à considérer la vie en bourgeois, même si nos écus de rapine s’épuisent, voilà, compère, qu’il te prend une circonspection truand !… C’est à se demander lequel de nous deux a le plus d’influence sur l’autre !
– Je me le demande aussi, avoua Tristan, morose.
De violentes averses les attardèrent. Ils virent ainsi paraître les toits et les clochers de Lyon à la fin du lundi 7 mars.
– Un jour de
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