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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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menton des épaules étroites, des seins petits. Elle eût pu se montrer fière de sa beauté partout ailleurs qu’en cette taverne qui semblait un haut lieu de malandrinage.
    – Dis-le-moi, Tiercelet, maintenant qu’elle s’en va. Est-ce la fille de ces gargotiers ?
    Le brèche-dent leva les yeux vers les solives :
    – Les crapauds ne sauraient enfanter des colombes… Tiens, la revoilà !
    Le fait de se sentir quasiment dévêtue du regard par Tiercelet aviva la roseur des joues de la jouvencelle lorsqu’elle disposa sur la table les écuelles et le pâté. Tristan chercha comment lui inspirer confiance. Il ne trouva rien.
    – N’oubliez surtout pas les couteaux, damoiselle, dit-il en la considérant d’un regard éloquent, bien qu’il craignît de provoquer à l’entour quelques bourdes indécentes – ce dont Tiercelet s’abstint, même quand la jeunette se fut éloignée.
    – Elle te plaît. Je connais les feux de ton regard.
    Point de question mais une certitude. À quoi bon ergoter avec un tel compère ?
    – Aussi vrai que Tristan est mon nom de baptême, j’en ferais, si je le pouvais, une dame de qualité… Baronnesse, chevaleresse… Vois comme elle souhaite être protégée… Ces lieux sales et enfumés sont indignes de sa beauté… N’est-ce pas ton avis ?… Ne la sens-tu pas menacée ?
    Tiercelet, le nez dans son gobelet, faillit avaler de travers. Il dut tousser abondamment avant de recouvrer son souffle :
    – Menacée, en vérité. Les braquemarts ne lui feront jamais défaut.
    Tristan rougit à cette idée. Il avait essayé de se persuader du contraire.
    Accessible à la compassion, bien qu’il s’en défendît, Tiercelet baissa la tête. Son soupir exprima une impuissance infinie :
    – Un jour, si ce n’est fait, pour payer sa pitance et le lit où elle dort certainement d’un œil tant elle se garde de tout, elle sera obligée de gravir cet escalier devant ou derrière un homme… Ici, on consomme tout : la bonne chère – encore qu’elle ne le soit pas – et la chair avenante, si j’ose dire. Cette donzelle a dû être prise par quelque flote (1) 66 et vendue à Eustache et à son épouse. Il faut qu’ils rentrent dans leurs frais… Veux-tu que je…
    – Non, dit sèchement Tristan.
    Tiercelet fit : « Bon, bon » avant d’interpeller la servante :
    – Amène-nous les gelines… Nous souffrons la malefaim !
    Elle apporta, sur un plat d’étain, les volailles, puis une miche de pain gris, rassis. Et deux couteaux.
    – Je vous sais bon gré de votre empressement.
    Comme il prononçait ces paroles doucement, en s’inclinant un peu ainsi qu’il l’eût fait lors d’un grand souper, Tristan vit que les trois jeunes gars le considé raient d’un air narquois tandis que le roulier, rieur, s’étonnait :
    – En voici un qui feint d’être un grand seigneur ! Et tu ne t’assieds pas sur ses genoux, Oriabel ?… Alors, viens sur les miens !
    Tristan fit front à ces impertinents. Derechef ils potaillaient tout en se riant de sa courtoisie.
    – Cesse de t’engrigner… Tu as beau, parfois, tapoter ton épée, ça ne saurait les effrayer… Cette fille, tu pourrais l’obtenir pour la nuit, mais pas pour toujours. Si ton orgueil est épais, ton escarcelle est plate.
    Tiercelet cessa de parler, de sourire : un crépitement et des tintements de fers annonçaient l’arrivée d’une cavalerie.
    – Hommes d’armes ? interrogea Tristan.
    – Non : ils crient et chantent trop… De plus, si tu regardes comme moi par la fenêtre, tu verras qu’ils n’ont pas ce bel arroi des serviteurs du royaume.
    – Des malandrins !
    – Hé oui !… Vois le roulier : il passe par-derrière et va courir se perdre dans la forêt voisine… Et les trois drôles en font autant.
    – Et nous ?
    – Si je les connais, tant mieux… Sinon, il fauche hardiment leur prouver que nous sommes des hommes et qu’on a les couillons solides.
    La porte céda sous une forte poussée. Bien qu’ils se fussent attendus à une irruption de cette espèce, les deux compagnons sursautèrent. Tristan vit Oriabel reculer vers la cuisine.
     
    ***
     
    Ils entrèrent à grand et joyeux vacarme, se heurtant rudement du coude ou de l’épaule pour franchir le seuil et s’attribuer un banc, une scabelle. Certains, de plaisir, frottaient leurs mains nues ou gantées de fer ; d’autres détiraient leurs bras lourds d’avoir tenu les rênes ou portaient leurs

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