Les amants de Brignais
mon âge ou un peu plus, dit Oriabel.
« Eh oui, songea Tristan. Beaux bras et belles hanches en dépit de cette tripaille infernale… Avec quoi ou à combien l’ont-ils violée ? Elle saigne affreusement… Elle va mourir. »
Quelque accoutumé qu’il fût aux blessures humaines, il n’osait regarder ni les seins profanés ni les cuisses pâles où les coulures de sang formaient d’abominables macules. Il fallait agir. Il ne pouvait plus demeurer ainsi !
– Holà ! Que faites-vous ? demanda une voix.
Une ombre tenant un flambeau apparut. La flamme révéla progressivement un visage glabre, tondu, sans oreilles, au nez réduit à deux trous.
Le dernier vegille (2) 07 , dit Tiercelet.
Le garde clochait, nu des épaules au nombril – un torse et des bras couverts d’une mousse noire, épaisse brillante. Un badelaire pendait à sa ceinture d’armes…
– Ce qu’on fait ? s’étonna Tiercelet. On venait voir nos chevaux… Leur donner un baiser avant d’aller dormir… On est arrivés ce soir avec Naudon de Bagerant.
– Je t’ai reconnu… Je dois pourtant te dire n’avance pas.
L’homme à tête de mort remuait son flambeau comme une arme. La flamme courte, fumeuse, crépita Tiercelet fit un pas :
– Si j’ai envie d’avancer, j’avancerai, compère. Qu’un Garcie du Châtel ou un Aymery me commande, j’obéis… Mais toi, va te faire refaire la hure plutôt que de vouloir brûler la mienne !
Tristan s’approcha. Aussitôt le geôlier fut devant lui, si près qu’il recula pour éviter la flamme que l’homme lui passait sous le nez.
– Je ne te connais point… ni d’ailleurs cette fille : que je vous conseille d’emmener vélocement… Es-tu venu pour cette pendue ?… La connais-tu ?… Veux-tu lui venir en aide ?
Cette fois, l’homme recula sous la pression de Tristan qui le poussait des deux mains, sans trop peser, grimaçant de sentir tant de poils tièdes sous ses paumes.
– Si j’avais liberté de mouvements, oui, je serais venu en aide à cette femme, ne serait-ce que pour adoucir son trépas. Tu sais que l’odeur de la tripaille excite les chevaux… Regarde ce qui pendouille sous le ventre de ce moreau !
– Il va ruer comme à la monte et l’écloper comme à la guerre.
– Non !… Ces deux roncins ne rueront pas, compère.
Tristan retira ses mains poisseuses de la poitrine du geôlier.
– Nous allons mettre ces bêtes ailleurs. Elles sont nôtres.
– J’en installerai deux autres à leur place… Quelques sabotements dans les cuisses ou les reins… Tallebarde appelle ça les derniers hommages.
Le poing dextre de Tristan sauta en direction du visage hideux sans toutefois l’atteindre : Tiercelet venait d’en arrêter le vol.
– Ne l’abîme pas : c’est un gars de Thillebort.
– Tu me prives d’une jouissance extrême. Comment t’appelles-tu ?
L’homme eut une espèce de ricanement qui le rendit plus effrayant.
– Thomas de Nadaillac… Hé là !… Pourquoi tires-tu ton épée ?
Tristan s’adressa à Tiercelet :
– C’est une grande horribleté que nous avons vue là… Nous ne pouvons toucher à cette malheureuse… Je me console en me disant que nos chevaux ne seront pour rien dans sa mort.
– Mais… commença Oriabel.
– Non, m’amie… Il faut nous résigner. Veux-tu finir ainsi ? Libérer cette femme, c’est nous condamner. Tu mourras, je mourrai ; Tiercelet aussi… Et pourquoi ? Pour une bonne action dont Dieu peut se courroucer : Il est aux aguets de cette âme et la veut recevoir bien souffrante… L’Eternel a parfois des désirs détestables.
– Tu blasphèmes !
Il se peut, mon cœur… Mais je ne puis m’en retenir.
Il y eut un rire : celui du geôlier occupé à suivre roncins que Tiercelet menait à la longe. Ils étaient sortis doucement. Ils pénétrèrent sans se regimber entre des bat-flanc disponibles et le brèche-dent les mit l’attache. Tout en y procédant, il leur parlait à voix douce – une voix que Tristan ne lui connaissait pas.
– Il me reste à savoir, dit-il au geôlier, ce que cette fille avait fait.
– Elle a craché au nez de Thillebort pendant qu’il la besognait.
– Seigneur ! bredouilla Oriabel.
– Après s’en être repu tout de même, Thillebort l’a offerte à ses compères… L’un d’eux, qu’on appelle Durandal, l’a enconnée avec son perce-mailles (2) 08 …
Tiercelet tapota l’épaule
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