Les amants de Brignais

corde :
    – Que lui reprochait le Meschin ?
    – Elle passait non loin de Brignais avec sa fille… l’autre pendue… Elles allaient en litière… Quinze hommes autour d’elles. Tous morts… Quand le Meschin s’est jeté sur sa fille, elle a voulu l’occire avec un petit poignard.
    – Ensuite ? demanda Tristan, accablé.
    – Le Meschin ne les a ni forniquées ni offertes à la piétaille, comme parfois. Thillebort a pris la pucelle ; la mère a eu droit au cheval.
    – Au cheval ? s’étonna Tristan.
    Il s’attendait à tout dans l’horrible, et n’osait se détourner vers Oriabel. Il savait qu’elle écoutait ; il avait honte pour toute la race des hommes.
    – Au cheval ! reprit Nadaillac. Pas au-dessus, bien sûr… On l’a liée ventre à ventre sous la bête, les mains attachées à l’encolure, les jambes écartées au troussequin (2) 09  ! Nul ne sait qui du cheval ou de la dame a joui le plus !
    –  Il faudrait, dit Tristan, écœuré, il faudrait…,
    – Tu ne peux rien ! fit Tiercelet. Rien !… Mets-toi ça, Castelreng, dans ton crâne de preux !… Ne la regarde plus. Tente de l’oublier… N’essaie pas de jouer au chevalier méritoire. Pense à Oriabel… Pense qu’elle est belle et qu’un jour vous vivrez hors de cette géhenne !
    Il entraînait Tristan vers la pucelle. Il ne se souciait plus de Nadaillac dont le pas boitillant s’accompagnait d’un rire :
    – Vous avez voulu voir ? Vous avez vu !
    Tristan se détourna et piqua de son épée le cou du garde :
    – Nous n’avons pas touché à tes captives. Si tu nous dénonces, je t’occirai à petits coups. Tu souffriras toi aussi la malemort !
    – Je me tairai… Parole d’homme.
    – Parole de merdeux ! enragea Tiercelet. Si mon compère ne le peut, je saurai te bazir (2) 10 et j’y mettrai le temps.
    Nadaillac ricana :
    – Tu es comme moi, Tiercelet, un enfant de la mathe (2) 11 . On ne se trahit pas entre nous. Et même si tu m’as quelque peu malmené, sois quiet et ton compain aussi : je fermerai ma goule.
    La face de mort dodinait, avenante. D’une brève mais pesante bourrade, Tiercelet se dégagea de la dextre qu’on lui tendait :
    –  Ah ! Non… Point de serrement de main… Et souviens-toi : si j’apprends que tu as langagé, tu mourras… Et si j’étais à ta place, je viendrais en aide à ces pauvres femmes.
    – Comment ?
    – Par l’occision.
    Tiercelet prit Oriabel et Tristan par l’épaule.
    – Rengaine ta lame, Castelreng. Sortons… Allons de l’autre côté, sur la paille… Ce n’est pas celle des cachots.
    Il eut une espèce de rire :
    – Pas envie ni toi ni elle de vous aimer !
    – Oh ! non, dit Oriabel.
    – Il nous faut guerpir, dit Tristan.
    – Pas maintenant. Ils vont vous tenir à l’œil… Quand ils vous croiront bien au chaud dans la famille, alors il sera temps.
    – Mais s’ils nous reprennent ?
    – Non, m’amie : ils ne le pourront !
    Dans l’ombre, plus dense à présent que Nadaillac et son flambeau cessaient de les accompagner, Tristan distingua, sur ce qu’il voyait du visage d’Oriabel, de fines et émouvantes luisances. Tout comme Tiercelet, au réconfort d’autant plus bourru qu’il était sincère :
    – Crois-tu, fillette, que si je vous aide et pars avec vous, ce sera pour qu’ils nous rejoignent ? C’est douter de mon ingéniosité ! Je m’en pourrais offenser !
    Il poussa la porte du fenil. Les yeux exorbités pour y voir davantage, Tristan aperçut le spectre du brèche-dent. Il avançait en remuant les bras comme s’il écartait des toiles d’araignée. Il heurta du pied quelque chose :
    – Une poutre… Approche Tristan. Nous allons la manier pour nous clore solidement.
    – Bouge pas, Oriabel.
    Bientôt, l’huis fut affermi dans son chambranle, mieux, sans doute que s’il avait été verrouillé. Tierce let se frotta les mains :
    –  Allez au fond vous faire un nid. Moi, je demeure auprès de cette porte.
    Menant Oriabel par la main, Tristan la conduisit à l’extrémité du fenil. Il y voyait à peine et craignait de heurter un obstacle. Il se baissa :
    – Par ici… Cela brille un peu… C’est de la feurre (2) 12 .
    – Je ne vais pas plus loin, décida la pucelle. Je suis tanée… Il va falloir me pardonner si… (Elle frémit.) Oyez ce remuement dans l’écurie !
    Il y eut un cri. Un hurlement de femme, puissant, lugubre. Tristan reçut contre sa poitrine la