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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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jouvencelle frémissante. Elle le ceintura à pleins bras, puis dénoua presque aussitôt son étreinte pour se clore les oreilles. En effet, le cri se renouvelait, issu d’une autre gorge : un hurlement d’angoisse et d’ultime fureur.
    Il y eut un bruit de course dans la cour, puis un rire, celui d’Héliot :
    – Elles sont mates !… Hé dis, Petit-Meschin : elles sont mates (2) 13  !
    – Bien fait !… Va te coucher, maintenant, et dors bien !
     
    * * *
     
    Tristan laissa Oriabel se mouvoir seule, devinant ses gestes aux petits bruits que suscitaient ses pieds ainsi qu’aux froissements de sa robe. À quoi bon lui parler, la rassurer encore. Elle devait avoir, dans la quiétude, des mouvements lents, gracieux, à commencer par celui qui libérait ses longs cheveux. Parfois, il devinait ses yeux, ses mains, taches vives dans ces ténèbres qui semblaient affermir, protéger leur asile. Tout proche, à quelques pas, Tiercelet froissait la paille ou le foin, puis s’allongeait dessus avec un soupir d’aise.
    « Moi, Tristan, qui dans la cruauté croyais avoir tout vu ! »
    Il ne se sentait aucune envie d’étreindre la pucelle autrement que chastement. Les nudités martyrisées avec délices le hantaient. Il lui advenait de leur substituer le corps inconnu et le visage clair d’Oriabel.
    Elle vint s’allonger près de lui. Dans une véhémente poussée de tendresse, il la serra si fort qu’elle se méprit.
    – Je ne pourrai pas, chuchota-t-elle. Ce que j’ai vu… Et puis, je ne sais pas…
    Il sourit, déglutit une gorgée de salive, tandis qu’elle le saisissait aux épaules.
    – Je suis effrayée… Ici, rien n’est amour : tout est mauvaiseté !… Soyez bon pour moi, ce soir… Je ne pourrai pas… même si j’ai envie…
    Elle lui parlait doucement à l’oreille, sur un ton de supplication. Sa voix n’était qu’un souffle ou un sanglot retenu. Lui-même aurait-il pu, si elle s’était montrée consentante ? Oui, évidemment, mais leur embrassement dans cette obscurité poussiéreuse, en ces lieux maudits des femmes, lui eût semblé une espèce de viol.
    Oriabel frissonnait, moins de froid que d’une angoisse inaltérable.
    – Comment, passerons-nous la journée de demain ?
    – Chaque soir, m’amie, tu me poseras cette question. Et je m’interrogerai sans guère te fournir de réponse apaisante.
    S’il ne pouvait la surveiller, il faudrait que ce fût Tiercelet. Jamais elle ne devrait rester seule. Or, Bage rant, Espiote, Thillebort ou le Petit-Meschin ne feraient-ils pas en sorte d’isoler la jouvencelle pour profiter de ce corps dont lui-même se refusait la possession cette nuit ?
    « S’ils y touchent, je les tue ! »
    Sottise ! Il succomberait soit sur un coup franc, soit par un coup de traîtrise. Ces démons feraient en sorte d’annihiler le secours que voudrait lui porter Tiercelet.
    Oriabel devinait-elle son trouble ? Son désespoir ? Sa tête remontait : elle cherchait certainement ses lèvres. En d’autres lieux, il s’y fut goulûment abreuvé, puis tout eût commencé : les corps qui se dénudent et se touchent ; les mains qui volent, glissent, s’égarent, tandis que les bouches s’unissent, frémissent et s’enhardissent comme des mains…
    – Qui craignez-vous le plus parmi ces mécréants ?
    Bien qu’elle vînt de le baiser – légèrement, comme pour recueillir un peu de sa force et s’endormir rassurée –, Oriabel songeait moins à leur étreinte qu’à celle qu’elle pouvait subir d’un des chefs de route.
    – Je les crains tous… Pourtant, si ce Thillebort est un affreux truand, le Petit-Meschin me déplaît davantage…
    Il l’avait observé à table. Ce houssepigneur sorti du commun séchait d’envie entre ses compères chevaliers : ils avaient reçu la paumée (2) 14 pendant qu’il essuyait des coups. Sa vanité blessée le tourmentait. Chacun des propos quelque peu soignés d’Aymery ou de Bagerant, de Garcie du Châtel ou de Pierre de Montaut lui prouvait combien sa condition restait piteuse même si, lui aussi, à force d’occisions et rapines, de viols et embrasements, prétendait à la renommée.
    –  Prends garde, désormais. Défie-toi de tout, même d’une porte entre-close.
    Il sentit Oriabel frémir et reçut son souffle contre son oreille.
    – J’ai moins peur de ces gens que de vous perdre.
    Il enferma la jouvencelle dans ses bras ; sa paume et ses doigts contournèrent un sein

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