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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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conciliabule. Tiercelet le domina :
    – Il me serait pénible de vous passer une aune d’acier dans le corps, mais je le ferai, Belzébuth en sera témoin !… Je vous ai dit que ces deux-là sont mes amis. Gare à vous si vous l’oubliez !
    Des coups de poing ébranlèrent la porte tandis que des hurlements et menaces éclataient. Puis lentement les pas s’éloignèrent.
    – Je crois qu’ils ont compris, Tristan. Tu dois te faire à cette idée que nous passerons la nuit ensemble… Va te coucher. Demain, il nous faudra des forces.

V
     
     
     
    L’aube vint, froide et pâle ainsi qu’en plein hiver. Tiercelet s’ébroua au creux de sa litière, éveillant Tristan qui n’osa faire un mouvement de crainte d’abréger le repos d’Oriabel. Elle gisait sur le flanc, une jambe obliquement allongée contre les siennes comme si, dans son sommeil, son désir d’être aimée se donnait libre cours.
    « Serons-nous seuls bientôt ? De quelle malignité Bagerant va-t-il nous accabler ? »
    Du dehors et tout proches s’éparpillèrent les clapotements métalliques d’un troupeau – sorti d’où ? – qu’on devait mener paître. Rien n’accompagnait ces tintements : ni la voix du pâtre ni les frappements de sa houlette ni les bêlements ou les meuglements des bêtes. Tristan crut entendre un pleur de femme et se dit qu’il se méprenait : les malheureuses entrevues à la table des capitaines devaient dormir, toutes repues de lassitude et d’horreur.
    Il referma ses paupières. Quand il les rouvrit, les clochettes tintaient toujours. Il faisait grand soleil, maintenant : des lambeaux d’or infiltrés dans le chaume grossier fournissaient au fenil une lumière parcimonieuse, mais il pouvait voir les amas de paille, de foin, et la porte que Bagerant et ses amis avaient voulu forcer.
    Tiercelet bailla bruyamment, puis rampa. Sa tête livide, couverte de fétus, émergea soudain du fourrage.
    –  Bien dormi, chevalier ?
    Tristan lui répondit d’une moue dégoûtée.
    – Comme moi, dit le brèche-dent. Cette nouvelle journée va nous sembler rude… et longue !
    « La vivrons-nous tous trois et tout entière ? » se demande Tristan.
    Déjà, sous la meilleure des apparences, le silence criblé de petits heurts métalliques se chargeait d’une espèce de moquerie à lui seul réservée.
    – Ils dorment encore, dit Tiercelet. Il faudrait obtenir d’être logés au château.
    Il se mit debout et prit ses aises : bras tendus, ventre en avant, dos rentré, tout cela effectué en bâillant longuement, ce dont il était peu coutumier et révélait une nuit d’aguets complète. Il avala une grande goulée d’air empoussiéré, moins pernicieux que celui du dehors.
    – Je vais sortir, trouver un seau, un chaudron d’eau et une serviette pour elle… Nous tournerons le dos quand elle se nettoiera. Elle pourra se mettre nue : je n’ai pas d’œil derrière la tête.
    – Et nous ? chuchota Tristan, car Oriabel avait bougé.
    – Nous irons nous plonger dans la rivière d’en bas, chacun notre tour afin de veiller sur ta conquête. Un filet d’eau qui s’appelle le Garon, à ce que m’en a dit Espiote… Peut-être Bagerant nous fera-t-il accompagner. Il te faudra, toi aussi, observer comment sont les lieux, s’il y a des gardes ; si, du château, des hommes peuvent nous voir guerpir… Il nous faut savoir quelle est la meilleure des voies pour réussir notre entreprise.
    – Tu veux donc abandonner tes compères !… Il t’en coûtera plus qu’à nous s’ils te reprennent !
    –  Faites-lui confiance.
    Oriabel venait de se lever sans bruit. Tandis qu’il la contemplait, Tristan se dit que même ainsi, sans le plus petit apprêt, dans la confusion du réveil, elle était toujours aussi belle. L’éclat de ses cheveux tout hurlupés, qu’elle tapotait du bout des doigts, ne rendait que plus crayeux son teint pâle. Il lui offrit ses mains ; les siennes avaient la fraîcheur de l’aurore.
    – Je t’ai contemplée dans ton sommeil… Et j’en fus réjoui : tu paraissais avoir tout oublié.
    S’il l’avait éveillée doucement, se serait-elle abandonnée de bonne grâce après un sourire tel que celui de maintenant ? Sans doute. Or, dans les conditions où cette union se serait accomplie, qu’eussent-ils éprouvé ? De la joie ? Du plaisir ? À Brignais pouvait-on éprouver du plaisir ? Non. L’amertume les eût envahis avec la certitude que cette

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