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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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cuissots. Le cuir du fourreau était semé de clous d’or et terminé par une bouterolle orfévrée. Il le tapota d’une main lasse, puis releva son visage mat, immobile, hostile. Tristan fut certain qu’une puissance terrible, maléfique, se concentrait dans cette tête dure, derrière ces yeux d’un bleu soudain ardent et cette bouche frémissante, anormalement rouge – comme si le routier avait vidé, dès son réveil, une écuellée de sang.
    – Je ne crains pas cet abîme ; au contraire : il est plein de délices et de… ravissements.
    Bagerant eut ce rire hoquetant et glacé dont il mésusait sitôt qu’en son cerveau s’installait quelque gêne.
    – J’ai confiance, Naudon, en ta parole. Tu peux te fier à moi. Sache, cependant, que je ne me mettrai pas à genoux pour pleurnicher : « Pitié ! Grâce pour moi et cette jouvencelle  »… que tu détestes parce qu’elle t’a échappé.
    Il se détourna juste ce qu’il fallait. Oriabel avait une pâleur de cierge. Ses paupières battaient, écrasant des larmes. Soudain debout, il saisit sa main. Elle était molle et plus fraîche qu’il ne s’y attendait.
    –  Soit, dit Bagerant. Tu l’aimes très fort, adonques rançon très forte.
    « Malandrin ! enragea Tristan. Tu ne vas pas me ménager ! »
    –  Tu n’es pas le roi de France. Tu vaux moins… Oriabel n’est ni reine, ni princesse, ni baronnesse, mais sa vie, pour toi, n’a pas de prix !… Pour Jean qu’on dit Bon, c’étaient quatre millions d’écus d’or de rançon. Puis on enleva un million… Il faut savoir être juste en négoce, pas vrai ?
    Tristan attendait la suite dans les mêmes dispositions d’esprit que lors d’une journée brûlante : il redoutait un orage.
    – Au commencement de l’an 59, nous avons fait prisonnier Gilles de Lorris, l’évêque de Noyon, et nous l’avons vendu à Edouard d’Angleterre… Ce prélat hautain comme un paon exigea sa liberté. Il l’obtint contre mille écus d’or, cinquante marcs d’argent de Paris et un bon destrier d’un prix de cent moutons d’or…
    « Enorme ! s’effraya Tristan. Jamais je ne pourrai réunir pareille fortune… Où va-t-il en venir ce malandrin superbe ? »
    Un regard d’Oriabel, une lippe de Tiercelet lui enjoignirent de mater son indignation. Il y parvint tandis qu’une sueur abondante picotait et glaçait son dos et ses aisselles.
    « Seigneur ! Seigneur ! Délivrez-nous de tous ces suppôts de Satan ! »
    –  Tu es noble, Castelreng… J’aime grossement l’or, l’argent, les chevaux et les pierreries… les femmes et les pucelles… Toi, tu n’aimes, dis-tu, que cette donzelle… Te rends-tu compte que par elle, je te tiens fermement dans ma main ? J’ai tout avantage, pour t’y conserver longtemps, à fixer une rançon excédant ce que tu pourras m’offrir quand on aura, chez toi, vidé les coffres, monnayé les joyaux et les argenteries et vendu quelques bonniers (2) 26 de bonnes terres !
    – Tu parles d’or ! releva Tristan tout en simulant une gaieté qui lui broyait le cœur.
    Il devait pourtant se ressaisir, sinon son désarroi et son courroux seraient considérés comme les preuves manifestes d’une incurable faiblesse de caractère.
    – Nous sommes à ta merci, et je t’en préviens quel que soit le montant de la rançon d’Oriabel, j’userai de tous les moyens dont je puis disposer pour l’acquitter. Il va de soi qu’il te faudra m’en laisser le temps : ma famille est bien loin de Brignais.
    Il ne comptait absolument pas sur son père ; il devait cependant faire accroire le contraire.
    – Où gîte ta parenté ?
    – Près de Carcassonne.
    – Tu ne me mens pas ?
    – Je peux te le jurer sur la croix d’Angilbert.
    Les lèvres de Bagerant s’incurvèrent, si serrées l’une à l’autre qu’elles en pâlirent.
    – Tout de même, reprit Tristan, quelle belle âme d’usurier que la tienne ! Tu n’as presque rien offert pour elle à ce tavernier, et tu vas m’imposer un tribut excessif !
    Le visage glacé, sans nuances, du routier, attestait qu’il discutait en vain ; mais il se devait de poursuivre. Ah ! Ce froid gluant dans son dos et cette voix, sa voix, méconnaissable. Dans la colère et la volonté de persuasion, elle prenait un ton aigre, pointu, à lui-même désagréable. Une image insidieuse se glissa dans son esprit ; celle d’un affrontement nocturne entre Bagerant et lui… L’estoc de sa Floberge sur

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