Les amants de Brignais
mêler…
– Holà ! je me mêle à mon escient : Castelreng est aussi mon ami !
– Comme tu es le mien, dit Tristan.
Cet aveu exprimé avec foi, plaisir et certitude, lui eût semblé, quelques jours plus tôt, consternant. Bagerant sourcilla, ébaubi par une situation inconcevable pour un homme de son espèce.
– Je pourrais me venger de ton outrecuidance, Tiercelet… Tu en fus le premier témoin : si je n’étais pas intervenu, chez Eustache, Castelreng serait mort, et toi sans doute aussi… Et elle, bien sûr…
– Tu l’aurais violée le premier… Mais parlons net Naudon, en brigands hardis, de sens rassis !… L’or t’importe-t-il autant que tu le donnes à penser ?… Non. C’est tout bonnement par l’entremise d’Oriabel que tu veux, je le sens, t’attacher les services de Castelreng. S’il ne peut acquitter sa dette, elle t’appartient, donc Castelreng demeure auprès de toi ! Sans en faire ton écuyer, car tu as Héliot, tu en fais ton chien de garde.
Bagerant émit un sifflement admiratif. Tristan soupira. Tout ce qu’il entendait lui paraissait sensé, et les deux routiers devenaient très différents de ce qu’ils étaient au début de leur controverse. Pour le moment Tiercelet semblait toujours détenir l’avantage. Il demanda :
– Es-tu capable, Tristan, d’acquitter la rançon d’Oriabel ?
– Oui.
Le mensonge était gros, Bagerant n’y prit garde :
– Voilà qui me plaît. Tiercelet voudrait égaler ma valeur d’homme à celle de cette fille pour un échange, qui m’insulterait… Bien sûr, je m’y refuse. Il m’a sauvé la vie, soit. Si l’occasion s’en présente, je sauverai la sienne… Oh ! Si, Castelreng ! Tu peux sourire… Néanmoins, je lui dois un gage d’amitié, de confiance, et je suis sûr que la proposition que je vais te faire te conviendra…
Tristan n’osa se réjouir. Et pourtant, sans qu’il ait eu à fournir le moindre effort de persuasion, la pensée de Bagerant cheminait vers le but qu’il s’était assigné dans la nuit.
– Si je te laissais partir pour assembler ces mille écus Castelreng, et bien que tu prétendes aimer cette fille, qui sait si je te reverrais !
– Oui, tu me reverrais !… Tiercelet veillerait sur Oriabel.
– Soit… Je préfère te savoir près de moi… Tu es comme une richesse que je me dois de conserver en réserve… avec Oriabel.
Tristan eut un spasme de la nuque comme si Bagerant l’y avait frappé.
– Disons que, sans avoir encore estimé ma valeur, tu me considères tout de même comme un otage.
Bagerant acquiesça. Tristan se sentit bouillir d’indignation :
– C’est une infâme duplicité !… Une traîtrise !
– Une précaution. Tiercelet partira chercher la redevance. Joue-moi un tour en son absence et tu cesseras d’être mon hôte pour devenir mon otage.
La fureur de Tristan étincelait tellement dans ses yeux que Bagerant cilla des paupières. Ah ! Pouvoir croiser le fer contre ce linfar. Jouir de sa mort ! Les mains crispées sur sa ceinture d’armes, il était comme ivre d’exécration. Un sombre besoin d’outrager le routier et même de le frapper, le pénétrait d’une fureur grelottante. Un regard d’Oriabel apaisa les maudits tremblements.
– Je ne crois ni à l’honneur ni aux serments. Mille écus et ta donzelle et toi serez libres !
– Rien ne me le prouve. Comment pourrais-je croire à tes serments ? Cela doit être un plaisir pour toi que de te parjurer !
– Tes parçons (2) 28 Naudon, dit Tiercelet, ne te rehaussent pas dans l’opinion que j’avais de toi. Tu m’as indigné parfois ; maintenant, je te trouve puant !
Le brèche-dent pensait se qu’il disait. Sa voix, son visage, son regard appartenaient à un autre homme. Il n’y avait plus aucun vestige de considération dans la lueur de ses prunelles ; sa bouche elle-même se crispait de travers dans une expression dure, si violent même, que Tristan se sentit gêné pour Bagerant. Quant à lui, le sentiment d’un proche malheur l’accablait. Il s’efforça de bannir promptement de son esprit cette impression de mésaise et de froid, tandis que Bagerant ricanait :
– En attendant les écus, Castelreng, Oriabel et toi serez aussi libres que nous tous, à Brignais… Bien sûr ne tentez pas de vous échapper… Vous le regretteriez fellement (2) 29 !… Il va de soi que si l’armée royale nous assaille, tu devras l’affronter parmi nous, ne
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